Chimie/Biologie: Des couleurs plein les yeux T1 - Lumière, couleurs et coraux
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Approchez mesdames et messieurs, approchez !!! Vous rêvez d'un aquarium rempli de coraux rouges, verts, bleus, d'Acropora encore plus colorés que lorsque vous les avez dévorés des yeux chez votre détaillant préféré, alors lisez vite cet article.
Alors ça y est, vous n'avez pas pu résister et vous avez cliqué pour lire la suite ;-) Non mais franchement vous y croyez encore, vous au père Noël ? Non, non, ne repartez pas tout de suite. Même si cet article et les suivants ne vous donneront pas de recette miracle pour éviter que certains de vos coraux virent au marron, nous allons passer en revue l'état des connaissances actuelles sur la coloration des hôtes de nos bacs. Et Dieu sait que depuis trois ans, même si très peu d'entre nous en ont entendu parler, les connaissances scientifiques dans ce domaine ont beaucoup progressé. Alors, si les mots pocilloporin, GFP, chromophore, n'évoquent pas encore grand-chose pour vous, prenez le temps de lire ce qui va suivre, nous allons essayer de vous faire découvrir un domaine de recherche en pleine expansion. Et n'ayez peur, nous ne perdrons pas de vue les trois questions qui nous intéressent tous :
- Pourquoi, une fois dans nos bacs, nos coraux ne gardent-ils pas toujours leurs brillantes couleurs d'origine ?
- D'où les coraux tirent-ils des couleurs aussi variées et chatoyantes ?
- A quoi toutes ces couleurs peuvent-elle bien leur servir ?
Ce premier article rappelle un certain nombre de grands principes. La couleur est une sensation subjective qui résulte de l'interaction entre la lumière et notre système sensoriel. Pour comprendre la couleur, il est donc nécessaire de comprendre la nature physique de la lumière et les propriétés de notre système visuel. Ce premier article sera donc consacré à une petite remise à niveau. Et puis, comme il faut bien vous motiver un peu nous nous efforcerons quand même de vous apporter une réponse à la première des trois questions ci-dessus.
Pour ceux qui ne l'auraient pas encore deviné, les deux autres questions feront elles aussi chacune l'objet d'un article. L'ordre dans lequel nous avons posé ces questions est donc l'ordre des articles et il ne doit rien au hasard ! Il reprend en fait l'ordre dans lequel les découvertes scientifiques permettant d'y répondre ont été faites.
Mais assez parlé de la suite, commençons donc par le commencement.
Mais oui, le marron est une couleur ;-)
Et si le brun-marron-doré est bien une couleur, force est de constater que ce n'est pas celle que nous préférons voir dans nos bacs, surtout quand elle provient d'un spécimen acheté à l'origine pour son "bleu incomparable". Avant d'essayer de comprendre à quoi peut bien être dûe cette métamorphose, nous allons commencer par rappeler quelques notions de physique. Pour ceux qui sont familiers des longueurs d'onde, qui savent pourquoi une voiture est rouge et comment on peut la rendre noire sans la repeindre, rendez vous au paragraphe suivant ;-)
Sans lumière pas de couleur, mais la lumière qu'est ce que c'est ? Il y a beaucoup de façon de parler de la lumière et nous allons profiter de cet article pour passer en revue celles qui vous seront utiles dans votre vie d'aquariophile.
La lumière fait partie des ondes électromagnétiques et comme telle, elle est définie par la distance qui sépare deux oscillations (sa longueur d'onde <----->, que nous exprimerons ici en nanomètre ou 10-9 m) et par le nombre d'oscillations par seconde (sa fréquence, que l'on exprime en Hertz, Hz).
http://www.cea.fr/fr/pedagogie/Ondes/Freq.htm
Notre oeil réagit comme un "capteur"d'ondes électromagnétiques qui serait capable de détecter des longueurs d'onde allant d'environ 400 à 750 nanomètres. L'ensemble des longueurs d'onde comprises entre ces deux bornes constitue le spectre de la lumière visible. En-deça de 400 nm se trouvent les ultra-violets et au delà de 750 nm les infra-rouges.
La surface sensible de l'oeil - la rétine - est en fait constituée de plusieurs types de capteurs (photorécepteurs) capables de réagir différemment, et de transmettre au cerveau une information en fonction de la longueur de l'onde qui les atteint. C'est grâce à cette particularité que nous pouvons voir en couleur. Le schéma ci-dessus vous indique la correspondance entre les longueurs d'onde et la perception que nous en avons. Notre rétine contient trois types de photorécepteurs sensibles au bleu, au vert et au rouge. Celle des poissons en possède jusqu'à six qui sont sensibles aux UV, violet, bleu, vert, jaune et rouge. Ils profitent donc bien mieux de la couleur des coraux que nous !!!
La lumière blanche, dans laquelle nous baignons, n'est en fait que la perception que nous avons de la superposition de toutes les longueurs d'onde du spectre visible. Mais si le monde qui nous entoure n'est pas uniformément blanc, c'est que les surfaces ne réagissent pas toutes de la même manière lorsqu'elles sont éclairées. Lorsque les différentes longueurs d'onde sont absorbées de manière égale par une matière, celle-ci nous apparaît grise. Plus l'absorption est importante, plus le gris devient foncé jusqu'à atteindre le noir lorsque toute le lumière est captée par la surface de la matière. Et la couleur ? Celle-ci apparaît lorsque la lumière n'est plus captée de manière uniforme mais dans des longueurs d'ondes spécifiques. La voiture qui passe dans la rue est rouge parce que, lorsque la lumière blanche arrive sur la carrosserie, toutes les longueurs d'onde sont absorbées par les pigments qui la recouvrent, à l'exception des rouges qui elles sont renvoyées vers notre oeil.
Mais ce type de pigment ne peut renvoyer que ce qu'on lui fournit, ce qui nous permet de répondre à une première question existentielle : comment transformer notre voiture rouge en voiture noire ? Et bien tout simplement en l'éclairant avec une lumière monochromatique bleue ou jaune ce qui est le cas classique d'un tunnel éclairé par des lampes à sodium. Cette source de lumière n'a pas ou très peu de longueur d'onde rouge et trop de peu de lumière est renvoyée à notre oeil pour exciter les photorécepteurs qui voient les couleurs : la voiture nous apparaît noire.
Bien sur les choses sont rarement aussi simples et les couleurs que nous percevons ne sont presque jamais monochromatiques. Et même les couleurs primaires (bleu, rouge et vert) peuvent être en fait composées du mélange de différentes longueurs d'ondes. Ce n'est donc pas parce que nous avons l'impression que deux couleurs sont identiques, qu'elles correspondent aux mêmes longueurs d'onde. Pour faire simple, le vert d'un objet peut très bien être dû à la réflexion d'une longueur d'onde verte ou par la réflexion de différentes combinaisons de bleu et de jaune (c'est le cas du vert des plantes par exemple).
Ça va jusque là ? Alors encore un petit effort, mais celui-là va nous permettre de mieux comprendre ce que nous observons dans nos bacs. Jusqu'ici, nous avons vu que les couleurs que nous percevons, correspondaient à la soustraction d'une partie des longueurs d'onde de la lumière visible et à l'interaction du spectre résultant - les longueurs d'onde non absorbées - avec notre système visuel. Mais certains corps peuvent aussi utiliser l'énergie qu'ils reçoivent pour produire de la lumière. Si l'émission de lumière a lieu en absence d'échauffement, on parle de luminescence, qu'on peut opposer à l'incandescence qui est l'émission de lumière produite par échauffement.
Pour qu'il y ait luminescence, il faut une source d'énergie externe. Or la lumière n'a pas simplement toutes les caractéristiques d'une onde, elle peut également être assimilée à un faisceau d'énergie, énergie qui est portée par des particules sans masse, les photons. Il y a une relation simple entre ces grains d'énergie et la longueur d'onde puisque l'énergie d'un photon est d'autant plus grande que la longueur d'onde est courte.
De nombreux coraux sont dits fluorescents ce qui est l'une des formes possibles de luminescence. Leurs pigments, grâce à l'énergie lumineuse portée par certaines longueurs d'ondes spécifiques, produisent leur propre lumière dans une longueur d'onde plus longue que celle d'origine (et donc moins porteuse d'énergie). C'est ce phénomène que vous observez lorsque vous regardez votre bac sous une lumière bleue. Il s'agit bien de fluorescence et non phosphorescence puisque cette émission de lumière s'arrête dès que vous cessez d'éclairer vos animaux. Contrairement à ce que nous avons vu précédemment, la couleur de ces animaux dans ces conditions particulières n'est donc pas due à la réflexion d'une partie des longueurs d'onde de la source lumineuse, mais bien à une production de lumière pas des pigments coralliens
Dans certains cas, l'animal n'a même pas besoin d'une source externe d'énergie. Certains animaux sont en effet capables d'utiliser leurs propres ressources énergétiques pour émettre de la lumière. On parle alors de bioluminescence. C'est le cas bien connu du vert luisant, mais aussi celui de nombreux organismes marins dont la méduse Aequorea victoria. Retenez bien ce nom, car, assez curieusement, c'est grâce à cet animal que les connaissances scientifiques sur la coloration des coraux ont pu autant progresser. Nous n'en dirons pas plus ici puisque ce sujet sera au coeur des prochains articles sur la coloration des coraux.
Aequorea victoria
http://home.csumb.edu/r/raskoffkevin/world/
Nous ne pouvons pas terminer ce tour d'horizon sur la lumière sans aborder les différentes manières de comparer deux sources lumineuses.
Vous connaissez vraisemblablement la notion de température de couleur au travers de vos achats d'ampoules HQI. Pourquoi parler de température plutôt que de longueur d'onde ? Tout simplement pour pouvoir comparer des spectres lumineux. Nous avons dit précédemment que la plupart des lumières qui nous entourent ne sont pas monochromatiques mais se composent d'un ensemble de longueurs d'ondes. Lorsque l'on parle d'une source lumineuse, il devrait donc être nécessaire de présenter un graphe décrivant les différentes longueurs d'onde qui composent cette source :
http://www.chez.com/divirion/web_cou/cou_01.htm
Avouez que ce n'est pas spécialement pratique. Heureusement, la physique vient à notre aide puisqu'il a été démontré que lorsqu'un "corps noir" émet de la lumière par incandescence son spectre ne dépend que de sa température. Ce qui revient à dire qu'en connaissant sa température on est capable de décrire son spectre lumineux. On pourrait donc en conclure que deux sources lumineuses de 10000 K (en Kelvin avec K = °C +273) devraient avoir des spectres de longueur d'onde identiques. Le problème, c'est qu'un corps noir se définit comme un corps opaque, totalement isolé et que les ampoules sont très loin de répondre à cette définition.
Dans le cas d'un corps noir comme notre soleil, le spectre est continu tandis que dans le cas des ampoules il est discontinu. Cela est dû au fait qu'à l'intérieur de l'ampoule différents halogénures métalliques émettent chacun leur propre spectre.
Spectre Hit Lite 10000 K
La température de couleur d'une ampoule, ou plus précisément la valeur extrapolée, nous renseigne donc plus sur sa longueur d'onde dominante que sur son spectre réel. Le tableau ci-dessous vous donne quelques points de repère. On notera qu'à 5500 K un corps noir émet approximativement la même quantité d'énergie dans toutes les longueurs d'onde et qu'on qualifie en général son spectre de "lumière du jour" (daylight en anglais). En dessous de cette valeur la lumière a tendance à tirer vers le jaune et au dessus vers le bleu - même si notre oeil ne le perçoit pas forcément dès cette limite.
Quelques valeurs :
Lumière d'une bougie 600 K
Lampe à incandescence de 75 W 2850 K
Lampe à incandescencede 150 W 3000 K
Lampe halogène (quartz-iode) 3400 K
Lumière du jour 5500/6500 K
Ciel sans nuage de 10000 K à 20000 K
Au delà de la qualité de la lumière - c'est à dire son spectre, il est également important de savoir estimer :
- la quantité de lumière produite par une source lumineuse (dans toutes les directions),
- la quantité de lumière qui arrive sur la surface étudiée.
Comme les choses ne sont jamais simples lorsque l'on parle de la lumière, il existe plusieurs unités de mesures qui traduisent en fait les différentes propriétés de la lumière que nous avons déjà évoquées ici :
Le Watt et le Watt/m2 font référence à l'énergie consommée par une source lumineuse ou à celle correspondante restituée sur une surface donnée.
Le lumen et le lux (1 lux = 1 lumen/m2 ) sont issus des standards industriels et se rapportent à une source lumineuse de référence de 540 X 1012 hertz et 1/683 watt. Cette longueur d'onde correspond à une radiation auquel notre oeil est particulièrement sensible (vert-jaune). Lumen et lux sont donc appropriées pour quantifier des sources de lumière de type commerciales destinées à notre confort visuel, beaucoup moins lorsqu'il s'agit d'étudier des phénomènes biologiques comme la photosynthèse (cf. ci-dessous).
Le micro-Einstein (µE) quantifie lui le nombre de photons émis ou reçus par un corps. Un Einstein correspond à 1 mole de photon (6.023X1023 photons). Cette unité de mesure ne prend pas en compte l'énergie portée par les photons (l'énergie des photons varie en fonction de la longueur d'onde). En quoi sommes nous concernés par cette unité de mesure ? Il y a deux types de réponses :
La première, c'est qu'elle va vous permettre de dégonfler un peu l'ego du type qui se glorifie devant vous de l'achat de son ampoule HQI 14000 K ;-) "Bof, tu sais pour les coraux ce qui compte c'est le PAR, t'as regardé celui de ton ampoule, il fait combien de micro-Einstein" Et si jamais votre interlocuteur sait à quoi correspond le PAR, parlez lui du PUR (cf. ci-dessous).
Plus sérieusement, la deuxième réponse, c'est justement que l'Einstein est un bon indicateur de l'activité photosynthétique des végétaux.
Les mécanismes biologiques qui sont mis en jeu lors de la phase lumineuse de la photosynthèse ne sont pas dépendants de l'énergie des photons mais de leur nombre et c'est justement ce qu'exprime l'Einstein. Le PAR (Photosynthetic Avalaible Radiation, unité : µE/m2/s) donne une mesure de la quantité de photons arrivant sur une surface dans la plage des longueurs d'onde correspondant à la lumière visible (entre 400 et 700 nm). C'est en effet dans cette portion du spectre que l'on trouve les pics d'absorption des pigments de la photosynthèse. Mais comme les pigments n'absorbent pas de manière égale dans toute la plage 400-700 nm mais bien à certaines longueurs d'onde précises, certains préfèrent utiliser le PUR (Photosynthetic Useable Radiation) pour quantifier le nombre de photons réellement utilisés par les cellules photosynthétiques à des longueurs d'onde très précises. La définition du PUR dépend donc à la fois de la source lumineuse (spectre d'émission, intensité) et des pigments étudiés (spectre d'absorption des pigments). A laisser donc aux spécialistes...
Maintenant que nous avons passé en revue les principes de la physique et de la biologie qui nous expliquent pourquoi nous voyons les coraux en couleur, passons à une question plus concrète. Pourquoi nos hôtes changent-ils de couleur une fois installés dans nos bacs ?
Il convient d'éliminer immédiatement les changements dus seulement à l'aspect visuel. Nous avons vu en effet précédemment que le spectre de la source lumineuse à un effet direct sur le rendu des couleurs (voiture rouge/voiture noire). Cela signifie que remplacer son ampoule 10000 K par une 20000 K va résulter en un changement immédiat de la couleur perçue des animaux. La fluorescence va être stimulée et les dominantes jaunes, rouges et marron vont être "gommées". Ce ne sont pas de ces changements dont nous parlerons par la suite, mais bien de ceux qui s'opèrent à moyen et long terme sous la même source lumineuse.
Vous savez tous que la majorité des coraux que nous maintenons dans nos bacs sont hermatypiques et que leurs tissus hébergent des symbiontes, les zooxanthelles. Ces symbiontes sont des algues unicellulaires (dinoflagellés photoautotrophes) et, comme telles, elles sont capables de transformer l'énergie lumineuse en énergie chimique pour fabriquer des sucres à partir du CO2 inorganique. Une partie des produits synthétisés par ces zooxanthelles sont transférés aux cellules coralliennes où ils servent de carburant et de source de carbone pour les besoins propres du corail.
Si cette particularité présente pour nous l'avantage de pouvoir maintenir des animaux dans nos bacs sans avoir à les nourrir, elle a par contre l'inconvénient d'être à l'origine du brunissement des coraux dans certaines conditions de maintenance.
Il existe plusieurs variétés différentes de zooxanthelles - en fait plusieurs dizaines d'espèces et sous-espèces différentes - mais elles sont toutes de couleur brun doré, couleur qui reflètent l'absorption privilégiée des longueurs d'onde bleues/vertes par l'appareil photosynthétique - le marron est en fait un orange très foncé ! La couleur apparente d'un corail sera donc le résultat du mélange entre les couleurs des pigments coralliens et la dominante marron des zooxanthelles, et les densités respectives de ces deux composantes. L'ensemble dépend des deux organismes et des lois subtiles qui gouvernent la symbiose corail/zooxanthelle. (Récemment, il a été montré qu'un troisième type d'organisme - des cyanobactéries en fait - participait à la symbiose chez Monstastrea cavernosa et à la couleur du corail, mais nous ne savons pas aujourd'hui si ce type d'association est très répandu).
Pour leur croissance, les polypes ont à leur disposition deux voix métaboliques : (i) soit utiliser les apports des zooxanthelles, et donc indirectement la lumière et le CO2; dans ces conditions, le corail devient pratiquement un organisme photoautotrophe,
(ii) soit utiliser leur propre machinerie cellulaire, mais dans ce cas comme pour tous les animaux, il leur devient obligatoire de trouver une source d'énergie externe et donc de s'alimenter.
En milieu naturel, ces deux possibilités sont vraisemblablement exploitées simultanément dans des proportions variables selon les conditions d'éclairement, la richesse en matières organiques de l'eau et les particularités génétiques de chaque espèce. Mais pour la plupart des espèces que nous maintenons, c'est la voie des zooxanthelles qui remplit majoritairement cette fonction.
En l'absence de bouleversement important des conditions naturelles, un équilibre se crée entre les algues symbiotiques et leur hôte, et la couleur du corail en est le reflet. Si les coraux ne sont pas tous marrons, c'est donc parce que les conditions en milieu naturel permettent de maintenir des quantités de zooxanthelles suffisamment faibles pour ne pas masquer la couleur des pigments coralliens.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que pour un corail, le passage du récif au bac d'un amateur, constitue un changement considérable. Le brunissement de certains coraux refléterait la mise en place d'un nouvel équilibre qui passerait par l'augmentation du nombre de zooxanthelles et par voie de conséquence, par le masquage des pigments coralliens. A noter que ce nouvel équilibre remplit bien son rôle puisque vous avez dû vous rendre compte que les coraux qui brunissent dans nos bacs n'ont pas de problèmes particuliers de croissance. Reste à comprendre les mécanismes qui président à cette augmentation du rapport zooxanthelles/pigments coralliens. Il y a des réponses simples à cette interrogation, mais malheureusement, elles ne sont pas complètement satisfaisantes.
La plus évidente est bien sur l'insuffisance de l'éclairement. La lumière, au travers des zooxanthelles et de la photosynthèse, est la principale source de matière première pour le corail. Si les zooxanthelles deviennent moins efficaces du fait de l'insuffisance du nombre de photons disponibles, une augmentation du nombre de celles-ci permet au corail de retrouver la même quantité de matière première que dans les conditions initiales. Certains auteurs rapportent que des modifications importantes d'éclairement se traduisent également par des modifications en quelques heures de la quantité de pigments photosynthétiques des zooxanthelles et plus généralement de l'activité métaboliques de celles-ci. Mais le brunissement est un phénomène relativement lent, ce qui cadre mieux avec les délais constatés pour une augmentation significative du nombre de zooxanthelles (quelques jours). On assisterait donc dans nos bacs à l'enchaînement suivant :
- éclairement insuffisant (PAR insuffisant),
-diminution de l'activité photosynthétique,
-baisse des ressources énergétiques du corail,
- augmentation du nombre de zooxanthelles et masquage des pigments coralliens,
- rétablissement de l'équilibre énergétique du corail.
Séduisant, n'est ce pas ? Il subsiste néanmoins quelques interrogations qui nous laissent penser que les choses sont vraisemblablement plus complexes.
Le point de départ de cet enchaînement réside dans l'hypothèse que nos bacs sont insuffisamment éclairés pour maintenir les niveaux initiaux de la photosynthèse. Si vous avez suivi le cours de rattrapage du début, vous savez que le PAR nous donne une bonne indication de l'énergie disponible pour la photosynthèse. Or, il a été constaté à la fois, que le PAR des ampoules 6500 K était bien meilleur que celui des ampoules de 10000 ou 20000 K, mais que du strict point de vue du maintien de la coloration ces deux derniers type d'ampoules donneraient de meilleurs résultats. Ce qui, en raccourcissant, voudrait donc dire, moins de photosynthèse et plus de couleurs. Nous verrons en réalité dans un prochain article que ces observations ne sont pas incompatibles mais en tout état de cause qu'elles plaident pour l'existence de mécanismes plus complexes. De la même manière, vous pourrez vraisemblablement constater au cours de vos expériences d'aquariophile, qu'une même souche de corail - obtenue par bouturage - placée dans deux bacs avec le même éclairage n'auront pas systématiquement la même coloration, l'un des pieds pouvant brunir et l'autre garder sa coloration d'origine.
Une deuxième explication intéressante est fournie par les partisans de l'importance de l'alimentation dans l'équilibre énergétique des coraux hermatypiques.
Constater que les coraux photosynthétiques peuvent prospérer dans nos bacs en l'absence d'alimentation ciblée ne veut pas dire que celle-ci ne joue pas de rôle en milieu naturel. Même s'il a été montré que les zooxanthelles étaient capables de fournir plus de 150% des besoins énergétiques des coraux comme les Acropora ou les Stylophora, il est également rapporté que ces mêmes espèces sont de grands prédateurs de plancton. Il est donc possible qu'une part plus ou moins grande des ressources énergétiques des coraux hermatypiques soit fournie par l'alimentation, les zooxanthelles ne constituant alors qu'un complément de ressources. Si, placé dans un aquarium le corail se trouve privé de ce type d'alimentation, l'enchaînement des événements pourrait être le suivant :
- disparition de la part alimentaire des ressources énergétiques,
- augmentation de l'activité métabolique des zooxanthelles,
- augmentation de la quantité des pigments photosynthétiques des zooxanthelles,
- augmentation du nombre de zooxanthelles,
-rétablissement de l'équilibre énergétique du corail. (Ressources fournies à 100% par la photosynthèse et déprime du propriétaire qui se retrouve encore une fois avec un Acropora marron).
Là encore, l'hypothèse est séduisante, mais elle n'est pas inattaquable. Si, de manière générale nos bacs ne sont pas à même de fournir les proies susceptibles d'être ingérées par des coraux à petits polypes (SPS), ils ne sont pas pour autant exempts de nutriment dissous. Or, il a été démontré que les coraux étaient capable d'absorber directement au travers de leurs membranes cellulaires des nutriments dissous (matière organiques en solution (DOM, dissolved organic matter), phosphates, nitrates). Le corail a donc bien à sa disposition dans nos bacs une ressource alimentaire importante.
Des concentrations plus importantes que la normale des nutriments dissous pourraient d'ailleurs à elles seules fournir une explication au brunissement de nos animaux. Ces composés sont en effet d'excellents "engrais" et sont susceptibles de favoriser la multiplication des zooxanthelles et donc d'induire le phénomène de masquage des pigments coralliens. Et là on est coincé, et c'est à chacun d'opter pour l'une des options possibles :
- ne pas nourrir ses coraux et prendre le risque qu'ils brunissent suite à la diminution de leurs ressources énergétiques,
- les nourrir et prendre le risque qu'ils brunissent à la suite d'une augmentation des DOM.
Et oui, on vous l'avait bien dit, il n'existe pas de recette miracle permettant de vous garantir le maintien dans vos bacs de SPS aux couleurs identiques à celles d'origine. Certes, avec une eau de bonne qualité et un éclairage optimisé, vous devriez mettre un maximum de chances de votre coté. Certes... mais un éclairage optimisé cela veut dire quoi ? Si sous 250 W vos animaux perdent leurs couleurs, vous passez à 400 W et la fois suivante (dès que vos finances et votre conjoint vous le permettront) à deux fois 400 W ? Pourquoi pas. Mais êtes-vous bien sûrs que tout ça soit fait pour le bien-être de vos animaux. A quoi toute cette débauche d'énergie lumineuse peut-elle bien leur servir, puisque, après tout, une fois devenu marron les coraux de nos bacs se portent toujours aussi bien ? Si pour les pigments des zooxanthelles les choses sont claires - ils sont les vecteurs de la photosynthèse - à quoi peuvent donc bien servir les pigments coralliens. Sont-ils d'origine alimentaire ou synthétisés par les polypes eux même ? Mais au fait un pigment c'est quoi ?
Promis, nous répondrons à une partie de ces questions dans notre prochain article :
Des couleurs plein les yeux - Les acteurs de la coloration
Symbionte : organisme vivant dans un autre en association à bénéfices réciproques.
Autotrophe : qualifie un organisme capable de synthétiser des composés organiques à partir de sels minéraux et de carbone minéral.
Photoautotrophe : qualifie les organismes autotrophes dont la source d'énergie est la lumière.
e-references :
http://www.cea.fr/fr/pedagogie/Ondes/index.htm
http://physique.paris.iufm.fr/lumiere/
http://isitv.univ-tln.fr/~lecalve/oceano/fiches/fiche3E.htm
http://semsci.u-strasbg.fr/rouedes.htm
http://www.sylvania.com/forum/pdfs/faq0017-0800.pdf
http://www.chez.com/divirion/web_cou/cou_01.htm
http://www.animalnetwork.com/fish2/aqfm/1998/june/features/2/default.asp
http://www.animalnetwork.com/fish2/aqfm/1998/nov/features/1/default.asp
http://reefkeeping.com/issues/2002-03/atj/index.htm
http://www.athiel.com/aquatic/riddle3.htm
http://quasimodo.versailles.inra.fr/inapg/cours/uvneurones/2000/conf07.htm
http://www.ghc.be/~couleurs/corps_noir.htm
http://scio.free.fr/ondes/corpsnoir.php3
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Article publié le 10/06/2004 par Benoît Finet et Florian Lesage
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