Bienvenue dans cette nouvelle rubrique, où je vais essayer de vous parler des nouveautés, actualités, problèmes, bref, de ce qui se passe un peu en Indonésie chez les exportateurs de poissons.
Si j'ai décidé de tenir une rubrique pour www.recifs.org, c'est parce que j'ai choisi ce métier par passion, et que j'entend bien vous faire profiter de ma position privilégiée, en laissant de côté mon métier, au moins le temps d'un article. J'ai choisi pour cette première intervention de vous parler de labres nouvellement rencontrés sur le marché aquariophile provenant de quelques régions voisines du Sulawesi.
Probablement rien n'est aussi excitant que de découvrir un poisson ou un corail ce qui, même après presque 6 ans d'activité là-bas, n'est pas aussi rare que l'on pourrait penser !
En effet, de nombreux poissons sont découverts chaque année en particulier en Indonésie, l'archipel aux plus de 17000 îles, coincé entre l'Océan Indien et l'Océan Pacifique, qui possède la plus grande diversité marine au monde.
Il y a quelques années, c'était la région de Sulawesi (Célèbes), où un bon nombre d'espèces ont été découvertes, surtout des labres. Mais tout a commencé dans les années 90 avec Pterapogon kauderni, des îles Banggai, juste à l'est de Sulawesi qui est devenu un poisson incontournable de l'aquariophilie marine, en raison de sa facilité de reproduction en milieu captif. Même ici en Indonésie chez les exportateurs, quand quelques uns sont introduits dans un grand système de coraux (plusieurs m3), quelques mois après la population a augmenté, sans qu'il n'y ait eu aucun apport ! En effet les adultes et les larves se nourrissent de petit crustacés (copépodes, amphipodes...) venant avec les invertébrés, pierres vivantes, coraux... Donc sans le savoir vous avez peut être déjà dans votre bac des poissons d'élevage.
Mais revenons-en à la famille qui nous intéresse plus particulièrement dans ce sujet : les labres. Après la vague de P. kauderni, la grande série des nouvelles espèces de labres a commencé avec Cirrhilabrus solorensis (variété à tête jaune et orange, et au corps bleu et vert) de la côte est de Sulawesi, du côté de Kendari, où on le trouve comme la plupart des poissons de cette famille, à faible profondeur sur le haut de la pente en bancs de milliers d'individus.
J'apprécie particulièrement ces poissons, en raison de leurs singularités :
L'organisation sociale est toujours la même : ce sont des poissons grégaires qui forment des harems. Les mâles paradent plusieurs mètres au-dessus des femelles qui protègent les juvéniles qui restent très près du substrat. C'est pour cette raison que les mâles sont plus faciles à attraper que les femelles et les juvéniles. Ces poissons sont hermaphrodites de type protogyne, c'est à dire qu'ils sont d'abord femelles, et les plus forts d'entre eux peuvent changer de sexe pour devenir mâle en cas de besoin (le plus souvent la mort d'un mâle). Ils restent d'une taille relativement raisonnable car les mâles des espèces les plus grosses atteignent à peine les 20 cm.
Cirrhilabrus solorensis varieté rouge de Sumbawa
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Ils se nourrissent principalement de zooplancton, et possèdent d'ailleurs une particularité dans leur yeux : la portion centrale de la cornée est divisée en deux parties, ce qui leur permet de mieux cibler les petits organismes.
La nuit, ces poissons produisent un cocon de mucus qui les isole des prédateurs en réduisant les émissions de signaux chimiques et électriques.
Les Cirrhilabrus sont relativement faciles à attraper en utilisant la technique du « filet barrière » : On installe un filet à quelques mètres du groupe et on pousse ensuite le groupe à l'intérieur de ce filet que les poissons ne voient pas et ne peuvent franchir, et il suffit de les récolter à l'épuisette à l'intérieur. Il est donc très rare que les pêcheurs utilisent du cyanure pour les attraper.
Toutes ces particularités en font des poissons parfaits pour l'aquarium marin : Ils sont solides et très peu sujets aux maladies, ils se nourrissent facilement de tout un assortiment de nourritures vivantes, congelées ou artificielles. Ils ne se cachent pas et se montrent très curieux, jusqu'à parfois venir manger dans la main.
Très peu de temps après la « découverte » de Cirrhilabrus solorensis, on a commencé a voir des Cirrhilabrus aurantidorsalis (tête violette, corps orange et violet) qui est un des rares Cirrhilabrus pour lesquels j'arrive à avoir des femelles facilement. Il est pêché dans la baie de Tomini (qui possède par ailleurs la plus grande diversité d'Acropora sp. au monde), près d'une localité appelée Parigi.
Cirrhilabrus aurantidorsalis
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
De la même provenance, mais un peu plus à l'est et au nord de la baie, Paracheilinus cyaneus est également un labre particulièrement intéressant, probablement un des plus beaux membres de la famille Paracheilinus. Quel spectacle de voir les mâles parader ! J'ai rarement vu ces poissons bien présentés en aquarium, mais maintenant qu'il est possible d'avoir des mâles et des femelles, dédier à un groupe un bac raisonnablement éclairé, pratiquement mono-spécifique ou hébergeant des poissons aussi peu territoriaux doit être époustouflant. Je pense que leur maintenance se rapproche énormément de celle des Anthias sp.
Pour finir sur cette baie, une espèce rencontrée depuis peu, toujours dans la même zone : Cirrhilabrus tonozukai, qui commence à faire de petites apparitions. Je n'ai personnellement jamais vu ce poisson dans le milieu naturel, mais il se rencontrerait dans des zones assez profondes, avec beaucoup de courant. Cette espèce aussi ne demande qu'à être exposée proprement pour nous enchanter !
Du côté de la mer de Java et de la mer de Bali, quelques espèces de labres sont apparues sur le marché : Il y eu tout d'abord Cirrhilabrus filamentosus de la mer de Java, qu'on voyait très épisodiquement au milieu de lots de C. lubbocki. Ce n'est qu'à partir de cette année qu'il est devenu plus courant. Ce poisson vient en fait de zones peu profondes mais très turbides, le plus souvent proches d'estuaires. C'est notamment ce qui explique que sa découverte soit récente, car ces zones troubles sont peu fréquentées par les plongeurs, même si elles sont facilement accessibles.
Cirrhilabrus exquisitus
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Quant à Cirrhilabrus cf exquisitus et Cirrhilabrus rubrimarginatus, qui n'étaient pas «nouveaux», ils sont maintenant collectés au nord de Bali. En effet, ce n'est que depuis quelques années que des pêcheurs prennent plus de risques et descendent plus profond, et par conséquent qu'un plus grand nombre d'espèces est proposée à la vente, dont Cirrhilabrus cf exquisitus et Cirrhilabrus rubrimarginatus. Je n'ai jamais rencontré ces espèces en plongée, mais eux aussi mériteraient d'être correctement présentés dans un aquarium peu éclairé et recréant au mieux leur habitat naturel.
Le mois prochain je vous parlerais des nouvelles espèces provenant de Flores, où là aussi quelques espèces de labres intéressantes sont pêchées.
A bientôt
Vincent Chalias (www.amblard.fr)
Consulter les fiches « Fishbase » des poissons cités :
Cirrhilabrus solorensis
Cirrhilabrus aurantidorsalis
Paracheilinus cyaneus
Cirrhilabrus tonozukai
Cirrhilabrus filamentosus
Cirrhilabrus lubbocki
Cirrhilabrus cf exquisitus
Cirrhilabrus rubrimarginatus
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Article publié le 26/11/2003 par Vincent Chalias (www.amblard.fr)
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