Depuis quelques années, l’importation des Catalaphyllia jardinei en Europe est suspendue. Les permis d'importation sont systématiquement refusés suite à une opinion négative délivrée par le Groupe d'examen scientifique du Comité européen pour le commerce de la faune et de la flore sauvage.
Catalaphyllia jardinei est le premier d’une liste qui s’est allongée et comprend maintenant Blastomussa wellsi, Cynarina lacrymalis, Euphyllia cristata, Nemenzophyllia turbida, Plerogyra sinuosa, Wellsophyllia radiata…
Pour la plupart de ces espèces, cette suspension résulte d'un désaccord entre l’Europe et l’Indonésie, sur l’établissement des quotas. L’Union Européenne juge que des quotas trop importants sont accordés à certaines espèces rares. Il existe aussi des problèmes de nomenclature par exemple le genre Wellsophyllia, qui est la forme de Trachyphyllia vivant sur le sable, est refusée alors que la seconde est acceptée. ( Note de récifs.org : le groupe d'examen scientifique a émis en 2003 un avis négatif (voir la note en bas de page) sur Trachyphyllia geoffroyi en provenance d'Indonésie ce qui résout ce problème de nomenclature)
Il y a quelques années, ces décisions étaient difficiles à accepter, car même si l’Europe les refusaient, les Etats-Unis et le Japon continuaient et même continuent toujours à les importer. Les fournisseurs en ont toujours beaucoup en stock. Cette interdiction a quand même entrainé une grosse réduction des quotas. En effet en 2002, les quotas indonésiens pour les Catalaphyllia jardinei étaient de 56000 spécimens par an. Ils sont tombés à 28500 spécimens par an et devraient encore diminuer cette année.
J’ai mis quelques années à comprendre et accepter cette interdiction.
Il existe 3 souches de Catalaphyllia jardinei :
La première provient d’eau peut profonde (à partir de 5 m, dans des lagons ou sur des récifs isolés), majoritairement du sud-est de Sulawesi. Dans cette souche, le squelette est vraiment flabello-meandroïde, et très long et haut, ce qui témoigne d’une croissance rapide. Les couleurs ne sont pas très brillantes, en général le corps est vert pale avec les pointes des tentacules roses. Cette souche est la plus solide et c'est celle qui s’adapte le mieux à la vie en aquarium. Malheureusement ce n’est pas la plus demandée car ce n’est pas la plus colorée.
Photos, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
La deuxième souche provient aussi de Sulawesi, mais plutôt du sud-ouest, et on ne la trouve qu'en eau profonde entre 20 et 50 m et sur le sable dans des zones calmes. Le squelette est souvent en forme d’arc de cercle. Certains gros spécimens forment même un anneau. Cette souche est la plus colorée, donc la plus demandée. On la trouve parfois en vert ou en jaune métalliques. Malheureusement cette souche est aussi la plus sensible. Elle est associée aux fortes mortalités des Catalaphyllia observées ces derniers années en aquarium. C’est depuis que tout le monde recherche ces variétés très colorées qu’il y a beaucoup de mortalité. Ce corail à gros polypes était considéré comme facile à tenir, mais depuis peu il est considéré comme assez difficile. Certains soutiennent que c’est dû au fait que nos aquarium sont trop propres, et que ce corail vit dans des eaux turbides - les eaux parfaitement cristallines n’existe pratiquement pas en Indonésie ! - et riches en nutriments dissous. Certains avancent l'hypothèse d'un crustacé parasite (Eric Borneman, communication personnelle). Ma théorie est que ce corail n’est pas correctement collecté, manipulé et emballé. Il est donc trop stressé ici en Indonésie et cela même avant même d’être exporté. En effet, ces coraux sont collectés profonds et empilés dans des caisses avant d’être remontés rapidement. Ils sont laissés en plein soleil sur le pont d’un bateau pendant quelques heures, puis emballés à sec dans des feuilles de bananes puis stockés quelques jours dans des aquariums très mal équipés. Ils sont ensuite emballés à nouveau et envoyés a des exportateurs à Djakarta…
La plupart du temps, on peut voir des blessures sur le haut du squelette, correspondant à un pincement des tissus lors d’un contact avec une surface trop dure.
En général, les symptômes sont les mêmes :
- Une partie du manteau ne s’ouvre plus, souvent à un endroit endommagé du squelette.
- Les tentacules deviennent plus courtes et enflées.
- Le manteau ne s’ouvre plus du tout.
- Les tissues sont emportées en quelques heures, par une infection bactérienne ou de protozoaires.
Il m’est arrivé de contrôler et le nombre de coraux intacts arrivant chez les exportateurs est très faible.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
La troisième souche de Catalaphyllia provient des alentours de Bali, Java et Lombok. Cette souche ressemble à la seconde, en termes d’habitat, de forme, mais pas couleur. En effet cette souche est plus classique, le manteau et les tentacules sont principalement marron avec le centre vert métallique. Certains spécimens sont plus verts que d’autres.
Cette souche est assez solide car les sites de collecte sont relativement proches des exportateurs ce qui n'entraine qu'une faible mortalité. Malheureusement, c’est en discutant avec de vieux pêcheurs que j’ai appris que ce corail était il y a encore peu assez commun sur les côtes balinaises et javanaises. Mais aujourd'hui après seulement quelques dizaines d’années de collecte, ce corail a complètement disparu. Les pêcheurs doivent maintenant aller collecter cette souche dans le Golfe de Madura. Mais lorsqu’elle aura disparu du Golfe de Madura, où iront-ils ?
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Voila la petite histoire de Catalaphyllia jardinei, l'un des plus beaux coraux pour aquarium qui a été victime de son succès. J’ai mis quelques années à comprendre ce qui se passait, et maintenant je supporte complètement la décision de la Communauté Européenne de suspendre l'importation.
J’ai décidé d’écrire cet article lassé d’entendre que certains pays réussissaient encore à en importer sans permis CITES, d’entendre également des amis me dire que ce corail est encore disponible dans de grands magasins français. Bref c’est inadmissible, et c’est seulement si la demande cesse que la raréfaction pourra cesser aussi. Je pense que d’ici quelques années cette espèce sera produite commercialement. Alors de petites colonies seront disponibles, sans mettre en péril les stocks naturels.
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Article publié le 17/02/2004 par Vincent Chalias (www.amblard.fr)
Note de l’équipe de récifs.org : Depuis 1997, l'Union Européenne s’est dotée de sa propre réglementation sur le commerce des espèces afin d’assurer la protection de la faune et de la flore sauvage. Cette réglementation reprend pour l’essentiel les règles de la Convention de Washington mise en application en 1975 et connue sous le sigle CITES pour Convention on International Trade in Endangered Species of wild fauna and flora. Cependant , la réglementation de la Communauté Européenne est plus stricte que celle de la CITES tant au niveau de la classification des espèces dans les différentes annexes que sur les règles régissant l’importation. La Communauté s’est également dotée d’un outil unique : Il s’agit du Comité sur le commerce de la faune et de la flore sauvage. Ce comité peut décider de suspendre l’importation d’une espèce s’il estime que le commerce en l’état constitue un danger pour la conservation de cette espèce (et quelle que soit la position de la CITES). Cette suspension suit la recommendation d’un Groupe d’examen scientifique dont un avis négatif suffit à stopper le commerce d’une espèce d’une provenance donnée. Après consultation d’autres autorités scientifiques et discussions avec le ou les Etats exportateurs considérés, ce groupe d’examen peut émettre un avis positif qui conduira à la reprise des importations (par exemple récemment Plerogyra sinuosa à partir de Fidji ou Goniopora lobata à partir de l’Indonésise). Ce type de fonctionnement permet une grande réactivité : d’abord une décision unilatérale et presqu’immédiate, puis seulement après discussions et éventuelle reprise du commerce. Dans le cas de Catalaphyllia jardinei, l’import est suspendu à partir de l’Indonésie, de Fiji et des Îles Salomon. Il est donc théoriquement possible de trouver des spécimens de cette espèce dont la provenance est différente. Pour les autres invertébrés qui nous intéressent, il peut y avoir des problèmes liés à l’origine (notamment avec l’Indonésie et Fiji) ou au genre (Tridacnae spp.). Des discussions sont en cours avec l’Indonésie et Fidji au sujet de nombreuses espèces pour lesquelles le comité estime que les quotas d’export autorisés par la CITES sont bien trop élevés pour en garantir la conservation. Le comité estime aussi que les bénitiers sont globalement en danger. Des avis négatifs du groupe d’examen scientifique ont été émis pour de nombreuses origines : Tonga, Vanuatu, Vietnam, Fidji, Nouvelle Calédonie, Iles Marshall, Philippines, Palau. Cela évidemment ne concerne que les invidus sauvages et non ceux d’élevage, et pas systématiquement toutes les espèces pour toutes ces origines, mais il y a une volonté très ferme de protection. Comme l’indique Vincent Chalias dans son article, ces règles peuvent sembler contraignantes, mais nous devons nous en féliciter car elles seules sont en mesure de garantir une préservation des espèces. Il est d’ailleurs fort regrettable que les règles de précaution établies par la Communauté Européenne ne soient pas en vigueur pour les autres pays qui s’en tiennent strictement au CITES. Pour en savoir plus http://europa.eu.int/comm/environment/nature_biodiversity/index_en.htm
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