Ecologie: A la découverte de la mangrove
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L'évolution des techniques de l'aquariophilie récifale des dix dernières années a mis en évidence les bénéfices apportés par une approche plus « naturelle » de l'écosystème captif.
Il est aujourd'hui possible de reproduire chez soi une partie de récif, avec ses habitants écotypiques, en respectant les conditions de maintenance les mieux adaptées à vos animaux. La reproduction d'une mangrove ne peut être approchée que partiellement en raison des spécificités biologiques et géographiques de cet habitat, mais on pourra partiellement reproduire les équilibres de ces écosystèmes et comprendre l'important rôle joué par la mangrove dans la vie récifale. Partons donc à la découverte de la mangrove !
1) Un habitat fascinant mais fragile
Même si ce n'est pas le sujet de cet article, il nous semble important de rappeler combien ce milieu est menacé par les activités humaines et les dérèglements climatiques. Nous tenterons ici de mettre en évidence l'importance de ce milieu pour le récif et la vocation éducatrice de l'aquarium marin pourra ici s'illustrer parfaitement si vous tentez de reproduire une partie de mangrove chez vous.
a. Une forêt de palétuviers
L'écologie du récif a commencé à être étudiée par Darwin et un certain nombre de phénomènes ont été mis en évidence, en particulier la notion de zonation du récif : il existe plusieurs « types » de récifs et au sein d'un même récif plusieurs zones avec des conditions particulières et une population spécifique. En deçà de ces zones, il existe plusieurs habitats associés, parmi lesquels la mangrove joue un rôle clé pour l'équilibre du récif. La terminologie du mot mangrove ne se rapporte pas à des espèces en particulier, mais plutôt à une zone ou habitat proche du récif peuplé de plantes fortement adapées aux conditions extrêmes de la bordure maritime. Ces plantes, couramment appelées palétuviers, ont la faculté de croître dans un milieu spécifique que nous détaillerons par la suite mais dont la principale caractéristique est qu'il est salin. Ces plantes sont donc halophytes (littéralement : tolérantes au sel) et ont su développer des stratégies d'adaptation qui leur permettent de coloniser des zones relativement vastes.
Photo, Sébastien LECOMTE
Aujourd'hui, l'importance de la mangrove aussi bien pour les écosystèmes marins que terrestres n'est plus à prouver. Les échanges de matière qui se produisent avec le récif sont ici très importants : le développement du phytoplancton est fortement favorisé par ces zones abritées de prédation massive et l'équilibre entre la production et la consommation de nutriments est clairement en faveur de la consommation, ce qui soulage les zones productrices voisines. La structure de la mangrove lui permet également de jouer le rôle de «tampon» entre les flux terrestres et les flux marins, diminuant par exemple l'effet des grandes pluies sur le récif (abondance d'alluvions et d'eau douce) et inversement, l'effet des grandes marées sur les côtes (extension de la zone saline). Il a également été prouvé que la présence de la mangrove était un atout pour les zones côtières lors des tempêtes puisqu'elle permettait d'en diminuer l'effet, mais elle stabilise aussi la structure côtière par son action de «tampon» avec les flux marins.
Cette structure dense permet également à la mangrove d'être une véritable «nurserie» pour les alevins de poissons, en particulier pour les espèces pélagiques. En effet, après une période larvaire, les juvéniles de poissons s'établissent dans les zones peu profondes et protégées du récif parmi lesquelles la mangrove où ils trouvent une nourriture abondante adaptée à leurs capacités de capture. Comme nous le verrons plus en détail par la suite, cette abondance de microfaune et microflore permet également à de nombreuses espèces de poissons, d'invertébrés et de végétaux de coloniser cette partie du récif, permettant de considérer la mangrove comme un véritable écosystème adjacent.
Les mangroves ont une distribution beaucoup plus vaste que celle des récifs puisqu'on rencontre des mangroves dans 75% des côtes situées entre 25° de latitude Nord et Sud. Ceci s'explique aisément par le fait que les palétuviers ont de grandes facultés d'adaptation et que le seul facteur limitant est la température ambiante qui doit être, en théorie, supérieure à 20°C. D'autres facteurs, comme des variations importantes de la salinité (par exemple aux embouchures des deltas de l'Amazone ou du Mississipi) limitent la construction de récifs mais pas celle des mangroves, ce qui explique une plus vaste distribution géographique.
Les habitats de croissance de mangroves sont notamment caractérisés par un niveau d'eau qui change constamment et une salinité variable assez souvent élevée. Le substrat est souvent riche en nutriments mais pauvre en oxygène, ce qui empêche la croissance d'un grand nombre d'espèces de plantes. En effet, les différentes espèces de palétuviers ont su développer des stratégies d'adaptation leur permettant de vivre dans ces zones difficiles. Notons par ailleurs que ces conditions ne sont pas indispensables à la croissance des palétuviers et que la limitation de leur distribution est liée à la compétition avec d'autres espèces. Nous allons donc voir quelles sont les caractéristiques qui leur permettent de croître dans ces milieux extrêmes.
b. Identification, morphologie et reproduction
On désigne par « palétuviers » les espèces constitutives de la mangrove. Il en existe un nombre très important, mais dans les zones récifales, les espèces principalement rencontrées sont Rhizophora mangle (« palétuviers rouges »), Avicennia germinans (« palétuviers noirs »), Luguncularia racemosa (« palétuviers blancs »). Ces différentes espèces se succèdent le long des côtes, selon un phénomène de zonation voisin de celui existant sur le récif. En effet, chacune possède des mécanismes d'adaptation au milieu qui leur permet de dominer dans des zones où les autres sont moins bien «adaptées».
L'un de ces mécanismes est «l'osmose inverse» : chez Rhizophora mangle la «transpiration» au niveau des feuilles crée une dépression au niveau des racines séparant le sel de l'eau à la surface de ces dernières (ce qui leur permet de s'adapter particulièrement bien dans les zones les plus proches du récif). Pour les palétuviers Avicennia germinans et Luguncularia racemosa, le sel est évacué au niveau des feuilles par des glandes à leur surface, réduisant de manière importante le taux de sel à l'intérieur de l'arbre. Ces deux mécanismes cohabitent chez les différentes espèces et la prédominance de l'un ou de l'autre jouera dans la distribution de ces dernières.
Pour contrer l'anaérobie du substrat, les palétuviers possèdent des « bourgeonnements » au niveau des racines qui facilitent les échanges gazeux, et développent parfois des « pneumatophores » (racines verticales) d'une vingtaine de centimètres qui sortent du substrat permettant à la plante d'aller chercher l'oxygène qu'elle ne trouve pas dans ce milieu pauvre et dense.
Un autre point commun des palétuviers est qu'ils sont vivipares (ils "élèvent" leur progéniture). Après la floraison, les graines restent suspendues à l'arbre et avec un degré d'évolution variable en fonction de l'espèce, elles tombent ou sont dispersées. Ce phénomène est extrêmement rare chez les plantes et permet aux graines de palétuviers d'avoir un taux de survie assez important. Ces graines de palétuviers ont souvent une forme en «cigare» permettant une implantation optimale dans le substrat et un phénomène de dispersion et de réimplantation plus aisé. Voici l'exemple de l'espèce la plus couramment rencontrée : Rhizophora mangle :
Photo, Hervé ROUSSEAU
La spécificité de cet habitat permet à un nombre important d'espèces de poissons, d'invertébrés mais également d'oiseaux de vivre dans ce milieu riche et atypique, certaines espèces étant d'ailleurs typiques de la mangrove.
Photo, Sébastien LECOMTE
2) La mangrove captive
La culture des palétuviers peut a priori se faire dans n'importe quel contexte : celui d'un bac écotypique où on cherchera à reconstituer le plus fidèlement possible une mangrove captive, celui d'un refuge où les palétuviers pourront y être élevés et constituer un habitat privilégié pour la microfaune, voire celui du bac d'ensemble où les palétuviers seront élevés de manière hydroponique dans une partie déterminéedu bac.
a. L'exemple de Rhizophora mangle :
La pousse de Rhizophora mangle peut se faire à partir de graines ou de petits arbustes, le taux de croissance étant dépendant des paramètres physico-chimiques du milieu captif. La partie immergée ira de la pointe opposée à la tête du palétuvier jusqu'à la partie la plus large du corps située environ au tiers (la partie marron). Une manière simple de faire démarrer des graines de palétuviers est d'entamer une culture hydroponique avec une plaque de polystyrène percée dans laquelle les graines sont coincées comme dans l'exemple suivant :
Photos, Hervé ROUSSEAU
J'ai eu l'occasion d'expérimenter dans mon bac secondaire la culture hydroponique de Rhizophora mangle pendant plus de 6 mois. Je suis parti de graines et je les ai « plantées » dans l'eau de mer dès le début. La croissance a été relativement rapide puisqu'au bout de 6 mois, certaines racines atteignaient une trentaine de centimètres alors que le corps avait pris lui une quinzaine de centimètres et une dizaine de feuilles étaient apparues. J'ai, dans le même temps, démarré une culture « en terre » de graines de même origine, en pot comme n'importe quelle autre plante, et la croissance a été encore plus importante au niveau du corps de la plante mais moins important au niveau des racines.
Il est particulièrement intéressant de constater que les racines de palétuviers constituent un habitat privilégié pour la microfaune
b. Mise en place et besoins :
Les palétuviers peuvent être mis en place dans le bac récifal par différents moyens : dans du substrat surélevé, dans des pots pour plantes d'eau douce, sur des tubes PVC fixés par des colliers, sur des pierres vivantes, la limite est souvent celle de l'imagination des aquariophiles ! L'élément le plus problématique de la maintenance des palétuviers est leur éclairement : sur le bord du bac, l'éclairement du HQI est souvent trop violent et le risque de « brûlure » du palétuvier est important. Pour un HQI de 250W, on peut estimer qu'à moins de 30 centimètres, le palétuvier ne tiendra pas. Au niveau de l'entretien, les feuilles des palétuviers
et le corps de l'arbre doivent être arrosés occasionnellement pour les débarrasser notamment du sel résiduel. Les feuilles mortes de l'arbre doivent quant à elles être retirées avant qu'elles ne tombent dans le bac, pour éviter le « relarguage » de nutriments.
Photo, Hervé ROUSSEAU
Les avantages de la mangrove captive sont nombreux. Tout d'abord, cette dernière constitue un habitat préférentiel pour la microfaune : les racines des palétuviers se couvrent souvent d'algues épiphytes offrant une protection adaptée. Les palétuviers permettent également l'extraction de nutriments : cette fonction peut presque être considérée comme «anecdotique» en raison des très faibles capacités d'export (en comparaison d'un écumeur ou d'algues supérieures par exemple) mais elle existe bel et bien. Pour finir, le côté esthétique et pédagogique est important, la reproduction même partielle de cet écosystème peut apporter un plus au bac récifal et permettre de mieux faire comprendre cet écosystème fragile.
c. Un challenge de bac écotypique :
Les dimensions du bac devront être adaptées à une croissance importante des palétuviers, l'idéal étant un bac profond mais pas très haut pour permettre au palétuvier d'avoir des racines immergés et émergées. Ce bac devra posséder une couche de sable épaisse, si possible de granulométrie fine et pourra héberger des espèces d'algues, d'invertébrés caractéristiques de cette zone comme Siderastrea sp. , Porites sp., Zooanthus sp.. Côté poissons, si on se donne les moyens d'élever de la nourriture vivante, l'idéal est d'héberger des hippocampes et des espèces apparentées, auxquels on pourra associer des poissons de même vivacité comme Synchiropus sp. par exemple. Ce bac pourra être indépendant, utilisant les méthodes naturelles pour la filtration (couche de sable épaisse en particulier) et des végétaux supérieurs, ou pourra être connecté au bac principal, en tant que refuge ou bac secondaire dans lequel vous pourrez reproduire une zone du récif différente de celle du bac principal.
Bibliographie partielle :
Svein A. Fossa / Alf Jacob Nilsen (1996)
The Modern Coral Reef Aquarium Volume 1
Florida Department of Education to SEACAMP ASSOCIATION, INC. IN 1998.
http://www.nhmi.org/mangroves/index.htm
Daniel Knop
Mangroves in reef aquaria
http://www.advancedaquarist.com
A Guide to Mangroves of Singapore
Peter K. L. Ng and N. Sivasothi
David Gulko (1998)
Hawaiian Coral Reef Ecology
Eric H. Borneman (2001)
Aquarium Corals
Stephane Fournier et Nicolas Leclercq
Aquarium endémique ou écotypique (2002)
Herbiers et mangroves : les écosystèmes adjacents (2002)
Consulter la base de connaissance Ecologie
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Article publié le 26/11/2003 par Hervé Rousseau
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