Invertébrés: Quelques espèces d'Acropora particulières d'Indonésie - Part I
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Je qualifie de particulières, des espèces qui ne vivent pas parmi les autres Acropora, ou endémiques, ou particulièrement intéressantes pour l'aquarium récifal. Particulières car elles sortent de l'ordinaire, par opposition aux espèces courantes comme : A. millepora, A. hyacinthus, A. formosa, A. humilis... La région du globe qui possède la plus grande diversité d'Acropora est l'Indonésie avec 146 espèces présentes sur les 169 décrites (Veron, 2000). Le centre mondial de la diversité en Acropora est la baie de Tominy au nord-est de Sulawesi.
Les Acropora sont très populaires parmi les aquariophiles à cause de leurs couleurs et de leur formes si variées. Une faculté exceptionnelle des Acropora et qui je crois fascine les gens, réside dans leur écologie et leur capacité à former des "champs" d'espèces différentes et multicolores. Les Acropora forment une famille de coraux durs à croissance rapide, caractéristiques des zones peu profondes soumises à des courants moyens à forts, une forte concentration en oxygène, une eau limpide et une très bonne pénétration de la lumière. Ces conditions sont souvent retrouvées sur les platiers et sur la frange supérieure de la pente externe des récifs. La plupart des espèces sont adaptées à ces conditions, mais la compétition pour l'espace est telle à ces endroits que certaines préfèrent coloniser des zones moins peuplées où elles peuvent se développer plus lentement sans avoir à faire face à une compétition trop importante. Certaines de ces espèces particulières font l'objet de cet article.
Photo, Hervé Rousseau
L'identification des Acroporas reste un exercice périlleux, même si des années de collecte, sélection et mise en culture m'ont donné des bases solides. Je suis très critique face à la systématique, la classification et la nomenclature actuelle fondée sur des critères morphologiques. Ce système est mal adapté à des animaux comme les coraux dont la morphologie est très dépendante des conditions environnementales. Quelques années de culture d'Acropora dans des environnements différents de celui d'origine m'ont permis de me rendre compte à quel point ils étaient capables de changer de forme jusqu'à ressembler à une espèce différente. Ces observations laissent entrevoir les limites de la taxonomie actuelle et révèle l'importance de la génétique moléculaire pour l'établissement d'une classification plus rationnelle. L'identification des espèces est rendue encore plus difficile par le très fort taux d'hydridation qui existe entre espèces similaires et par le nombre élevé de variants d'une même espèce.
Veron explique dans son livre Corals in Space and Time (1995) et dans la partie sur l'évolution des espèces (Corals of the World, Vol3, «Evolution of species», 2000) pourquoi il est si difficile d'utiliser une taxonomie fondée sur des descriptions physiques des individus : "La raison fondamentale (?) est que les espèces de coraux co-existent dans des espaces géographiques superposables qui se modifient constamment, à tel point que les variations au sein de la même espèce deviennent indifférenciables des variations entre espèces similaires. La majorité des espèces n'existent pas comme des unités définissables géographiquement ou taxonomiquement. " Lors d'une conférence en 2000, il demandait aux biologistes présents leur indulgence, et expliquait que des querelles de taxonomie n'avait pas lieu d'être tant que des études génétiques ne seraient pas menées correctement. Pour l'instant le seul outil que nous possédons pour parler des coraux est cette nomenclature, et en attendant des jours meilleurs, nous devons l'utiliser du mieux possible.
Une particularité unique aux Acropora est d'avoir un polype axial au bout de chaque branche par opposition aux polypes radiaux qui poussent sur les côtés des branches.
Acropora aculeus
Les colonies sont corymboses : elles forment des réseaux de branches principales horizontales avec des ramifications secondaires verticales, et forment ainsi des plateaux. Les branches horizontales sont divergentes et les corallites (le squelette d'un seul polype) radiales sont petites. Les branches sur la périphérie sont très fines et se cassent facilement. Même si la plupart des colonies ne sont pas très colorées, il existe une variété jaune fluo ou même vert fluo, très rare et très appréciée. Cette couleur est très facile à garder en aquarium et peut être même mise en valeur sous une lumière bleue (ampoule 20000K).
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Comme on peut le voir sur la gauche de cette photo, les pigments verts fluorescents sont excités par la lumière bleue 20000K. Il en est de même pour A. caroliniana et A. suharsonoi
On rencontre cette espèce souvent en partie haute des tombants ou sur les pentes externes, protégés des fortes houles, avec des courants moyens et une eau souvent légèrement turbide. On le trouve quelques fois à partir de 10 m de profondeur, mais le plus souvent aux alentours de 20- 25 m.
Cette espèce, qui même si elle est de constitution fragile comme toutes les autres espèces de ce type d'environnement, résiste bien au transport, et s'adapte mieux à la vie en aquarium que la majorité des autres espèces d'Acropora qui vivent dans les eaux peu profondes et claires des crêtes récifales. Nous cultivons cette espèce sans aucune difficulté.
Le complexe A. caroliniana, A. granulosa et A. loripes
J'ai décidé de présenter ces trois espèces ensemble, car elles se ressemblent énormément et s'hybrident facilement, à tel point que même avec un microscope et en utilisant les clefs de différenciation des Acropora proposés par Garden Wallace, il est très difficile de les différencier.
J'aurais pu aussi inclure dans ce groupe A. lokani et A. rosaria mais ils sont très rares dans nos zones de collecte. Selon Veron, les deux premières espèces font partie du groupe formant des colonies corymboses en forme de plateau ou de buisson, avec de longues corallites axiales tubulaires. Tandis que A. loripes fait partie du groupe formant des colonies corymboses buissonneuses et aux corallites radiales voyantes et arrondies.
Les trois espèces de ce groupe sont particulièrement résistantes au stress, notamment pendant les phases de collecte et de transport. Correctement éclairées, elle conservent leurs couleurs et sont résistantes aux maladies. Pour toutes ces raisons ce sont des candidats exceptionnels pour les aquariums récifaux.
Acropora caroliniana
Sans aucun doute mon préféré, car il a une forme particulière, il est très coloré et très résistant. Plateau corymbose avec des ramifications verticales assez désordonnées et pointant dans plusieurs directions, une majorité de corallites axiales et très peu de toutes petites corallites radiales. Les corallites axiales sont souvent incurvées vers le haut.
Le plus souvent cette espèce est de couleur brune, légèrement jaune. Quelquefois on rencontre des colonies bien colorées, il existe une variété assez rare, jaune vert fluorescent, qui est très demandée. Cette couleur sera la aussi mise en valeur par un éclairage bleuté.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Cette espèce ne nécessite pas énormément de lumière et de courant en comparaison des autres Acropora des zones moins profondes aux eaux claires. Cette espèce est aussi beaucoup plus résistante que les autres espèces d'Acropora, tolérant plus facilement une fluctuation des paramètres physico-chimiques de l'eau.
Son squelette est plus solide que celui d'A. aculeus.
A. caroliniana vit au sommet de la pente externe, le plus souvent entre 10 et 20 m de profondeur, dans des zones relativement calmes et légèrement turbides. Nous cultivons cette espèce, mais sa croissance reste lente et il este difficile d'en produire en quantité.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Acropora granulosa
La forme est corymbose avec de gros polypes et de longues ramifications. Les branches sont très similaires à celles d'A. loripes, sauf que A. granulosa ne forme que des plateaux, et que les corallites axiales sont beaucoup plus développées avec beaucoup moins de corallites radiales dans les pointes des branches. A. granulosa est vraiment une forme intermédiaire entre A. loripes et A. caroliniana.
Il existe plusieurs souches, certaines ressemblant à des A. loripes mais formant des plateaux avec des corallites plus petites, et d'autres très proches de A. caroliniana mais de couleur différentes et des corallites plus étroites. "Cette espèce est divisible en plusieurs semi-distinctes unités taxonomiques. " (Veron, Corals of the World, vol 1, 2000).
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
La forme la plus classique qui souvent forme des hydrides avec A. caroliniana est brune avec les pointes violettes. Cette variété est très recherchée. La coloration, la facilité de maintenance et la robustesse de l'espèce en font un candidat de premier choix pour la captivité.
On trouve cet Acropora en général sur les tombants ou sur les pentes externes abruptes, généralement protégés des fortes houles mais où des courants de marée existent quand même. On le trouve rarement à moins de 15 m de profondeur, dans ce cas toujours dans des endroits partiellement ombragés. Cette espèce convient particulièrement aux zones moyennes et basses des aquariums fortement éclairés.
Nous cultivons cette espèce, mais sa croissance reste lente et il est difficile d'en produire en quantité.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Acropora loripes
C'est probablement l'espèce la plus polymorphe des trois, avec de nombreuses couleurs, formes, souches pour des environnements très divers. La forme des colonies est très variable, de buissonnante jusqu'au plateau. Le taux de ramification est aussi très variable. Elle peut former un bouquet de branches simples, mais aussi elle peut prendre une forme très touffue avec de nombreuses ramifications courtes. Les corallites axiales sont souvent tubulaires, et les corallites radiales sont souvent très arrondies. Les longues corallites axiales sont souvent dépourvues de corallites radiales d'un coté. Le diamètre des corallites axiales est souvent plus important que pour A. granulosa.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
On trouve cet Acropora généralement dans des eaux peu profondes, en haut de la pente externe, sur le platier et même dans les lagons ou autres récifs protégés des fortes houles. On le trouve régulièrement dans des zones calmes et légèrement turbides, et rarement au-delà de 10 m de profondeur.
Voici quelques principes simples valables pour la majorité des coraux et particulièrement pour cette espèce qui est très variable :
- si la colonie provient d'une zone lumineuse, les branches sont longues et ramifiées; la forme est buissonnante,
- si cette zone est peu lumineuse, la colonie s'étale pour former un plateau aux branches courtes,
- si cette zone est soumise à de forts courants, les branches sont massives, resserrées et peu ramifiées,
- si cette zone n'est pas très agitée, les branches seront fines et espacées.
A partir de ces critères physiques, on sait en général de quel type d'environnement provient chaque colonie.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Il est le plus souvent brun avec les pointes bleues, mais des variantes roses, mauves ou vertes sont aussi courantes.
Contrairement aux deux espèces précédentes, cette espèce doit être correctement éclairée et placée dans la zone supérieure des aquariums, même si ils sont fortement éclairés. Nous cultivons cette espèce très facilement.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Acropora echinata
Cette espèce est très demandée, car sa forme et sa couleur sont assez remarquables. Par contre, je n'ai jamais réussi à maintenir sa couleur originelle en aquarium sur le long terme. Sa maintenance reste un mystère pour moi. Si quelqu'un lit cet article et possède un spécimen dans son aquarium, qui aurait conservé sa couleur originelle et qui grossit normalement, je serai ravi d'en discuter. N'hésitez pas à me contacter.
A. echinata ressemble à une brosse à bouteille, avec de longues branches et de courtes ramifications perpendiculaires à la branche principale. Les corallites axiales sont très développées, en comparaison des corallites radiales quasi-inexistantes. Cela lui donne un aspect "épineux". Il est le plus souvent marron, mais quelques fois, on peut le rencontrer mauve, avec le corps principalement de couleur claire faisant contraste avec des corallites mauves.
On le trouve normalement, dans les endroits protégés de la pente externe, ou dans des lagons, souvent dans des zones sableuses. Il est le plus souvent dans des eaux claires en compagnie d'une grande diversité d'Acropora.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Il est intéressant de noter que selon Staghorn coral of the world : A key to species of Acropora, (Wallace, 1999), l'espèce que nous trouvons régulièrement serait plutôt A. albrolhosensis. Qui selon Corals of the world (Veron, 2000) est une espèce complètement différente que j'ai déjà rencontrée dans la même zone que les A. echinata.
La culture de cette espèce ne pose pas de problème particulier, même si la croissance est assez lente.
Acropora efflorescens
La première fois que nous avons rencontré A. efflorescens, c'était en cherchant des Catalaphyllia jardinei. Nous étions en plongée à la limite d'une dalle rocheuse aux alentours des -20 m et on cherchait des zones de sable en contre-bas de la dalle. La dalle rocheuse était soumise à un courant très fort et nous étions obligés de nous agripper à tout ce qu'on pouvait trouver. Les seules prises étaient des A. efflorescens, une forme particulière qui vit assez profond. On en a remonté quelques pièces, et je me suis aperçu que contrairement à notre première impression, ce n'était pas des Turbinaria mesenterina à bord bleu, mais bien des Acropora en forme de coupe. Les membres d'équipage l'ont rapidement surnommé "Parabolla" à cause de sa forme.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Il m'a fallut plusieurs années pour résoudre le mystère de cet Acropora. Cette espèce est donc A. efflorescens, , elle habite les récifs très exposés aux grosses houles ainsi qu'aux forts courants. Les eaux sont souvent turbides. On le rencontre entre la surface et jusqu'à au moins 25 m de profondeur. Mais la forme en parabole ne se rencontre que dans les zones profondes et très exposées aux courants, car s'il y a assez de lumière et pas assez de courant laminaire, des petites branches verticales poussent sur le plateau.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Il est vert ou brun avec les pointes (ou un liseré) rose. La forme de parabole avec le beau liseré rose ne se rencontre qu'en-delà de 12 m dans les endroits très exposés au courant, ou des fois moins profond, mais légèrement à l'ombre. Pour la forme verte, la couleur est plus intense dans la zone peu profonde, mais la forme de parabole ne se rencontre que plus profond. Ces conditions sont difficiles à reproduire en aquarium, et les conditions de maintenance qui permettent de garder la forme ainsi que la couleur est très compliquée à recréer. Mais cela constitue un défi qui je suis sûr, nous serons bientôt capables de relever. Nous cultivons facilement la variété avec les petites branches verticales des eaux moins profondes.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Acropora simplex
Les colonies forment principalement des plateaux. La majorité des branches sont longues, fines et horizontales. Les corallites axiales sont tubulaires et très longues. Les corallites radiales sont irrégulières et très peu développées.
On le trouve principalement sur les tombants aux eaux claires et océaniques du large, au-delà de 20 m de profondeur. Il est collecté exclusivement à Sulawesi, même si selon Veron (Corals of the World, 2000), son aire de répartition est plus importante. Il est probable que cette espèce soit endémique de certaines régions de Sulawesi.
La rareté et la profondeur font que cette espèce est très irrégulièrement disponible. Elle n'est collectée que saisonnièrement lorsque les conditions climatiques s'y prêtent.
Certaines colonies collectées moins profond peuvent avoir quelques branches partant vers le haut.
La couleur est brune avec les pointes mauves ou roses. Comme pour toutes les espèces vivant profond, des ampoules de 20000K sont mieux adaptées pour l'éclairage.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Une particularité de cette espèce réside dans son adaptation très intéressante à la captivité. C'est une espèce très solide et très résistante, qui voyage bien. Correctement éclairée, la couleur mauve s'intensifie pour gagner tout le corps avec les pointes légèrement plus claires. La croissance est lente, mais la forme et la couleur sont absolument remarquables.
Nous commençons à cultiver cette espèce, mais sa culture n'est pas facile et la croissance très lente.
Acropora suharsonoi :
Une des espèce les plus fascinantes, car elle est endémique des îles de Bali et Lombok et sa forme est unique.
Les colonies sont corymboses, les branches sont formées de très longues corallites axiales incurvées vers le haut.
Les corallites radiales sont pratiquement inexistantes, cela donne un aspect très lisse aux branches, et très épineux à la colonie.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
On le trouve en général au-delà des 15 m de profondeur sur les pentes externes protégées des fortes houles, les tombants ou même sur les pinacles. On le trouve quelquefois moins profond, mais souvent dans des endroits turbides ou ombragés, aussi bien sur des fonds de sable noir que de sable blanc.
La couleur est généralement brune, avec quelques spécimens collectés moins profond qui sont verts. Cette couleur est mise en valeur sous un éclairage bleu en utilisant des lampes de 20000K.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Cette espèce aussi est particulièrement résistante, et même si son squelette est fragile, elle résiste généralement bien au transport. Elle s'adapte bien aux zones moyennes et inférieures des aquariums très éclairés, sa couleur s'intensifie sous lumière bleue après une période d'adaptation de quelques mois. Sa croissance est lente, mais sa forme unique en fait toujours une pièce maîtresse de l'aquarium. Nous cultivons cette espèce, mais la croissance plutôt lente ne permet pas encore de la produire en quantité importante.
Photo, Vincent CHALIAS (www.amblard.fr)
Voila la fin de la première partie, je vous présenterai d'autres espèces intéressantes dans un prochain épisode (Part 2). En attendant, j'espère que ces informations vous permettront de bien mettre en valeur ces espèces et de les maintenir sur le long terme.
Je vous souhaite d'agréables moments de détente devant votre aquarium.
Bibliographie :
Veron, J.E.N: Corals of Australia and the Indo-Pacific, 1986
Veron, J.E.N: Corals in Space and Time: The biogeography and evolution of the scleractinia, 1995
Veron, J.E.N: Corals of the World, 2000
Wallace, Carden: Staghorn Corals of the World: A revision of the genus Acropora , 1998
Wallace, Carden: Staghorn coral of the world : A key to species of Acropora, 1999
Wallace, Carden and Aw Michael, Acropora, Staghorn Corals, 2000
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Article écrit par Vincent Chalias (www.amblard.fr) et publié par Récifs.org le 05/07/2004
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