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Etat de l'art
a) L'historique
Après de nombreuses tentatives infructueuses datant d'une cinquantaine d'années, des méthodes de maintenance des invertébrés marins permettent aujourd'hui de réussir la maintenance mais aussi la croissance et la reproduction des coraux hermatypiques. Si au début ces méthodes reposaient sur des changements d'eau massifs afin de remplacer les éléments consommés et surtout d'éliminer les substances polluantes accumulées, des tournants radicaux ont été pris grâce à la compréhension de l'écologie marine, et à diverses avancées et découvertes techniques.
Aujourd'hui, après les tentatives incluant des filtres semi-humides à l'origine de taux de nitrates incompatibles avec les coraux, deux voies principales se distinguent : la voie " naturelle ", qui commence avec Lee Chin Eng et trouve son apogée actuelle avec la méthode Jaubert, et la voie plus technique, inspirée de D. Stüber et connue sous le nom de "méthode berlinoise", où l'équipement (dont l'écumeur est l'élément central) permet aujourd'hui un contrôle quasi parfait de la qualité de l'eau.
b) Système ouvert ou semi-ouvert
Un système ouvert est un système en communication avec la mer, ou l'eau est renouvelée de façon permanente. On ne peut pas à proprement parler d'une méthode, puisqu'elle est basée sur le changement d'eau massif et donc nécessite d'avoir la mer à proximité, mais surtout puisqu'on ne compte absolument pas sur un retraitement in situ de quelques composés que ce soient. De fait, l'aquarium n'a aucune autonomie, et on comprendra que cette approche est assez peu satisfaisante pour le particulier.
c) Système naturel (Lee Chin Eng)
i) Un tournant
Alors qu'on tente vainement, à l'aide de changements massifs d'eau et de filtres rapides, de maintenir dans des aquariums des coraux hermatypiques, Lee Chin Eng propose une approche révolutionnaire. En préconisant des changements d'eau minimes, il se contente de faire l'hypothèse qu'un système peu pollué car peu peuplé en poissons peut s'autoréguler pour peu qu'on lui fournisse énergie (éclairage, brassage) et matières premières (oxygénation, nourriture). C'est ce qu'il tente en plaçant dans un bac un peu de sable et quelques pierres sous un éclairage puissant. Le brassage est assuré par des bulleurs à air.
ii) Révolutionnaire, mais imparfaite
La méthode est un demi succès, mais un succès tout de même. En effet, le système ne s'autorégule pas totalement, mais une avancée énorme en terme d'écologie marine est accomplie. Il reste que le système ne supporte pas de charge organique importante, et que les changements d'eau redeviennent conséquents dès que quelques poissons sont introduits.
iii) Les concepts de la méthode :
· Un éclairage conséquent
· Un brassage assuré par des bulleurs afin de créer des déplacements d'eau
· Une oxygénation de l'eau grâce aux bulleurs
· Quelques PV
· Du sable
d) Méthode Adey
Cette méthode se base sur l'observation de l'expérience de Lee Chin Eng. Le système fermé doit pouvoir s'autoréguler, mais il faut remédier à la fragilité du système en terme d'épuration de l'eau. Pour cela, le Docteur Adey va se concentrer sur l'export des matières indésirables, en remarquant que celles-ci sont de bons engrais pour les algues qui les incorporent dans leurs tissus (nitrates, phosphate, fer, etc...)
Il reprend donc le concept de Lee Chin Eng, un aquarium éclairé et brassé, mais ajoute un organe externe, sorte de longue plaque inclinée, qu'il éclaire violemment tout en faisant ruisseler l'eau de l'aquarium dessus. Il fait ainsi pousser des algues inférieures qu'il n'a qu'à racler et exporter périodiquement. L'eau se trouve ainsi débarrassée des nutriments dissouts consommés par les algues.
i) Les concepts de la méthode :
· Filtre à algues, éclairé et ruisselant
· Eclairage
· Brassage
e) Méthode berlinoise
i) Le principe
Photo, Julien THEODULE
Dans les années 80, un groupe d'Allemands conduit par Dietrich Stüber propose une approche révolutionnaire afin de remédier au problème de l'export des matières indésirables. Ils se servent pour cela d'un appareil de filtration externe : l'écumeur. Cet appareil utilise le principe suivant : en injectant de l'air dans l'eau de mer, une écume va se former en surface. Il existe dans l'eau des molécules dont une partie est attirée par l'eau (hydrophile), tandis que l'autre partie est repoussée (hydrophobe). Ces molécules vont être piégées à la surface des bulles d'air et vont remonter avec elles vers la surface. En exportant l'écume produite, on retire de l'eau tous ces composés. Parmi eux se trouvent bon nombre de matières organiques dont des protéines, des acides gras, des sucres etc... qui si on les laissait dans l'aquarium, suivraient un cycle classique de dégradation aboutissant à la formation de nitrates.
ii) L'aquarium de l'époque
Grâce à cet organe d'épuration qu'est l'écumeur, on enlève les déchets avant qu'ils ne se dégradent. L'écumeur participe à l'oxygénation de l'eau, ainsi qu'à l'extraction d'autres composés tel que certains orthophosphates. Les adeptes de la méthode en profitent donc pour supprimer les bulleurs de leur bac et les remplacer par des pompes de brassage. Un fort éclairage est mis en place afin de subvenir aux besoins des coraux hébergés, et les PV sont à l'époque passées à l'eau de javel afin de supprimer tous les hôtes indésirables. Elles viennent compléter le système de filtration en transformant in situ les quelques nitrates produits par les déchets qui n'ont pas été extraits par l'écumeur. Une filtration rapide sur perlon est également mise en place pour piéger les plus gros déchets afin de les exporter du bac.
Cette méthode remporta un succès foudroyant, les taux de nitrates restant à des niveaux extrêmement bas, donc compatibles avec la maintenance des invertébrés marins tropicaux les plus délicats.
iii) Le berlinois aujourd'hui
Photos, Julien THEODULE
L'apport de l'écologie et des méthodes naturelles reposant sur la complétion des cycles au sein de l'aquarium a enrichi au fil des années la méthode berlinoise. On sait aujourd'hui qu'il est important de préserver la faune contenue dans les PV (bactéries, micro et macrofaune) afin d'ensemencer le bac.
Parallèlement, le développement technique et la démocratisation d'un matériel toujours mieux adapté nous permettent aujourd'hui d'utiliserune méthode fiable qui marche à tous les coups pourvu qu'on en respecte les préconisations. Les écumeurs sont aujourd'hui très performants, et l'éclairage sous forme d'HQI offre des conditions de vie permettant de réussir sur le long terme un aquarium récifal.
iv) Les concepts de la méthode :
· Un éclairage puissant : on recommande entre 1 à 2 W/litres du bac (ou 400 à 800W/m2).
· Une quantité de PV correcte : on recommande entre 10 à 20 kg pour 100 litres
· Un brassage adapté, fonction de l'écotypisme reproduit dans le bac, de 10 à 30 fois le volume du bac par heure
· Un écumeur correctement dimensionné en fonction du volume du bac
· Une supplémentation en ions calcium et strontium
f) Méthode Jaubert
i) Hasard ou visionnaire ?
Photos, Julien THEODULE
La méthode Jaubert tient son nom du professeur Jaubert de l'Université de Nice. Le principe est qu'une épaisse couche de sable posée sur un espace d'eau confiné est le siège d'une intense activité de dénitration. Ce principe provient de l'observation que l'arrêt de la circulation dans un filtre sous sable est associé à) terme à une diminution importante du taux des nitrates. Le professeur a dépose un brevet décrivant cette méthode d'épuration connue aujourd'hui sous le nom de " méthode Jaubert ".
ii) Vers une méthode naturelle
Cette méthode ouvre une voie retentissante vers l'aquariophilie naturelle. En effet, un bac fonctionnant selon la méthode Jaubert garde un taux de nitrates indétectable, une eau claire et dans une certaine mesure un taux de calcium stable dans le temps malgré sa consommation par les coraux durs.
Le principe est le suivant : la couche de sable épaisse est naturellement colonisée par des bactéries. Le passage de l'eau au travers du sable n'est pas forcé, et se fait par diffusion. Les bactéries des premiers centimètres de la couche de sable sont aérobies et elles transforment les déchets organiques en nitrites puis nitrates en utilisant l'oxygène dissout dans l'eau. L'eau parvenant plus profondément dans la couche de sable est donc appauvrie en oxygène dissout, ce qui force donc d'autres bactéries présentes à puiser leur oxygène ailleurs : ces bactéries se servent alors des nitrates NO3- pour en extraire l'oxygène et relarguer de l'azote gazeux N2. L'azote s'évacue du bac naturellement par simple diffusion.
A cause de l'activité bactérienne, on assiste à la formation de divers gradients (oxygène, acidité, nutriments, calcium, etc ) et en particulier à une acidification de la couche de sable, qui se dissout progressivement, relarguant ainsi dans l'eau du calcium et des bicarbonates (entre autres), ce qui explique une certaine autosuffisance du bac pour ces éléments.
Le rôle du plenum (espace d'eau confiné): le plenum assure une homogénéisation du gradient d'oxygène sur toute la surface de l'aquarium. Cela évite les réactions non désirées et non maîtrisées telles que la métanogénèse et la formation de sulfures.
La méthode Jaubert préconise de plus un fort éclairage, en particulier pour éclairer au moins 75% de la surface du sable, ainsi qu'un brassage conséquent en ménageant toutefois le lit de sable, où le passage de l'eau doit se faire de façon passive (il est préférable d'orienter le flux des pompes vers la surface.)
Photo, Julien THEODULE
Au-delà de son caractère parfois anecdotique, cette méthode ouvre réellement les portes d'une aquariophilie naturelle, où l'écosystème est presque autonome. Il reste que les apports de nourritures évidemment nécessaire entraînent un besoin d'exporter certains polluants qui seraient incomplètement recyclés par la couche de sable, comme les phosphates qu'il convient d'exporter à l'aide d'arrachages réguliers d'algues supérieures.
iii) Les concepts de la méthode :
· Un éclairage puissant, avec une préconisation de 75% de la surface du sable éclairée
· Une quantité adéquate de PV (5 à 10 kg/100 litres)
· Un brassage en rapport avec l'écosystème reproduit et qui évitera de déranger l'équilibre du sable
· Une couche de sable épaisse (environ 10cm), posée sur un espace vide (plenum) de 2 cm.
g) Les méthodes dérivées :
De nombreux auteurs et chercheurs contemporains ont proposé des évolutions en vue d'améliorer les conditions de vie de nos pensionnaires. Ces méthodes n'ont pas encore le recul suffisant pour avoir fait leurs preuves, et sont pour certaines "incomplètes", en ce sens qu'elles ne proposent l'amélioration que d'une partie du bac (exemple la couche de sable), tout en créant parfois de nouveaux problèmes. Ces efforts sont néanmoins louables et permettent de faire progresser la compréhension générale des phénomènes qui se déroulent dans nos bacs.
i) La méthode Ron
Photos, Julien THEODULE
Ron Shimeck propose une méthode basée sur une couche de sable épaisse sans plénum (Deep Sand Beed, DSB en anglais). Il ne préconise pas forcement le retrait de l'écumeur, bien qu'il affirme que l'on puisse s'en passer. Son idée est de favoriser certains processus comme la métanogénèse qui a lieu dans les profondeurs du sable où l'oxygène est encore plus rare que pour la dénitrification. La couche de sable est donc très épaisse (25 cm ou plus) et de granulométrie très fine (oolithique en majorité, dans des proportions bien définies). De plus, une microfaune très active est indispensable pour le biotriturage et l'entretien de cette couche.
ii) L'adjonction d'un refuge
Photos, Julien THEODULE
Le refuge est sans conteste une des premières évolutions qu'il faut offrir à votre bac. Il permet d'héberger une faune spécifique, de constituer une source de plancton pour le bac principal, de mettre en place un écosystème différent de celui du bac principal (un herbier par exemple), de profiter des bienfaits d'une couche de sable épaisse, etc ...
Le refuge sera idéalement connecté au bac principal par surverse, afin de ne pas abîmer les animaux qui y seront apportés, et alimenté par une pompe offrant un débit assez faible, de l'ordre de une fois le volume du refuge par heure.
iii) La zone cryptique
Photos, Julien THEODULE
Steeve Tyree propose une approche naturelle reposant sur la mise en place d'une zone "cryptique" au sein du bac. Selon lui, construire un bac récifal avec une moitié de son volume au moins dédiée à cette zone permet de s'affranchir d'un écumeur. Cette zone sera absolument exempte d'éclairage et de prédation venant du bac, permettant le développement sur les roches d'une faune et d'une flore spécifiques à la vie nocturne, composées entre autres d'éponges et autres organismes capables de recycler les nutriments dissous. L'inconvénient principal reste la place occupée par cette zone, ainsi que le peu d'explications concernant cette méthode.
iv) Le Jauberlinois
Afin de bénéficier des avantages des deux méthodes les plus en vogue actuellement, on peut parfaitement rajouter une couche de sable épaisse avec plenum à un bac berlinois au sein du bac principal ou dans une seconde cuve branchée en série sur le bac principal, ou bien encore mettre un écumeur sur un bac Jaubert. Les avantages s'additionnent, et il est probable qu'un écumeur soit effectivement indispensable sur un bac quel qu'il soit, car certains composés ajoutés au bac, par la nourriture pas exemple, ne sont théoriquement pas recyclés in situ et doivent être extraits ; d'autre part, on ne peut que se féliciter des avantages d'une couche de sable épaisse au sein d'un bac voulant tendre vers une reproduction naturelle du récif.
v) Le Jaubert soufré
Photo, Julien THEODULE
L'idée d'aider la dénitratation grâce à l'adjonction d'une couche de billes de soufre dans le plenum est une idée de Marc Langouet. L'inconvénient de cette méthode est l'éventuelle accumulation des sulfates résultant de la réduction des nitrates et surtout l'impossibilité de réglage du système. En effet, une fois la couche de billes recouverte par le sable, vouloir la modifier revient à perturber l'ensemble du système.
vi) Les micro/nano/pico récifs
Photo, Philippe ROYER
Certains se sont lancés dans l'expérimentation de tous petits aquariums récifaux. Réservons cela aux amateurs éclairés. Ces méthodes reposent classiquement sur des changements d'eau importants (au regard de la taille du bac, mais dérisoire en nombre de litres) et des populations animales adaptées. Il ne serait pas pensable de loger dans 15 litres d'eau un flavescens ou tout autre poisson habitué aux grands espaces.
Cet exercice de style délicat permet néanmoins (pour peu qu'on le réussisse !) de comprendre rapidement les limites intrinsèques des systèmes captifs.
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