Les algues, comment ça marche ?
Photo, Julien THEODULE
S'il est un sujet souvent abordé entre aquariophiles aussi bien marins que d'eau douce, c'est bien celui des algues mais plus pour des raisons de nuisance que pour leurs aspects esthétiques et bénéfiques. Cependant, comme nous allons le voir par la suite, la présence d'algues dans un aquarium marin est un gage de stabilité pour autant qu'un équilibre entre production et consommation des nutriments dissous soit bien établi.
a) Notions de base de biologie
Les algues sont les formes les plus simples des végétaux. Il en existe plus de 25000 espèces, des cyanobactéries microscopiques aux laminaires de plusieurs mètres. Leur extrême plasticité leur permet de se développer dans des milieux aussi hostiles que les glaces polaires ou les sources thermales chaudes. Si elles sont présentes sous certaines formes terrestres, leur royaume est l'eau, en particulier les océans.
Comme tous les végétaux, les algues sont douées d'autotrophie par photosynthèse. Cela signifie qu'elles exploitent l'énergie lumineuse pour fixer le carbone qu'elles tirent du dioxyde de carbone (CO2), et pour certaines des bicarbonates (HCO3-). Dans les océans, elles forment le premier maillon de la chaîne alimentaire, le seul qui réalise la synthèse de matière organique à partir d'éléments minéraux. Leur rôle dans le cycle du carbone de la biosphère est considérable puisqu'on considère que la quantité de CO2 transformé par les algues est supérieure à celle qui est fixée par l'ensemble des végétaux terrestres.
En plus de l'énergie lumineuse et du CO2, les algues ont besoin d'autres éléments qu'elles puisent dans leur milieu. Si la plupart sont abondants comme l'eau et les ions sulfates, magnésium, calcium, potassium et chlorure, d'autres sont en revanche plus rares : nitrates, phosphates, silicates, fer, iode et manganèse. L'absence d'un seul de ces éléments peut provoquer un arrêt du développement des algues. On parle dans ce cas d'élément limitant. Toutes les algues n'ont pas les mêmes besoins ni les mêmes capacités de fixation de ces substances.
Ces différences sont dues à leur extrême diversité. L'autotrophie par photosynthèse et l'absence du système vasculaire typique des végétaux supérieurs sont leurs plus petits dénominateurs communs. On les classe ensuite en grands groupes d'espèces (phylums) selon leurs différences morphologiques et surtout selon la nature de leurs constituants cellulaires, de leurs pigments photosynthétiques et de leur capacité de synthèse biochimique. On distingue les Cyanophytes, les Chromophytes, les Rhodophytes et les Chlorophytes.
De ce rapide tour de la biologie des algues, on peut déjà tirer un certain nombre d'enseignements. Le premier est qu'il existe une grande diversité d'algues dans nos bacs, même si cette diversité n'est pas toujours visible au premier coup d'oeil, et le second est que ces algues n'ont pas toutes les mêmes besoins. Ce point est bien illustré par la succession des espèces que l'on observe dans un bac récifal lors de la phase initiale de maturation. Pour contrôler les algues, il va donc falloir agir sur les éléments limitants qui sont principalement les nutriments dissous. Comme dans la nature, l'autre levier de contrôle repose sur la consommation des algues par des herbivores qui vont en limiter la prolifération.
Photo, Julien THEODULE
Les aquariums récifaux modernes sont éclairés avec une intensité et une qualité proche de celle du récif. Les algues n'ont pas toutes les mêmes pigments photosynthétiques et il est théoriquement possible d'en favoriser certaines en agissant sur l'intensité ou le spectre lumineux. Les algues calcaires rouges exploitent particulièrement les radiations vertes et bleues, et les algues vertes de type caulerpe utilisent plus particulièrement le bleu et le rouge. L'éclairage du bac principal et notamment la température de sa "couleur " (de 6500 à 20000K) est imposé par l'environnement qu'on souhaite récréer et par les besoins des coraux et des algues symbiotiques qu'ils hébergent. Toutefois, il semble logique d'employer un éclairage moins bleu et de plus basse température pour un refuge qui sert à la culture des caulerpes (de 4200 à 5000K).
b) Les nutriments : comment s'accumulent t'ils ?
Comme nous avons vu précédemment les algues ont besoin de nutriments azotés et phosphorés pour croître. Elles les extraient du milieu puis les stockent dans leurs cellules à des concentrations qui varient en fonction de l'espèce mais qui peuvent être importantes pour les algues sans racines comme les algues rouges. Nitrates et phosphates sont donc du "carburants " pour les algues. Si la production des nutriments dissous est proche de leur consommation par les algues, nous obtenons alors un équilibre et les taux de nutriments restent faibles. Ce principe est utilisé dans les méthodes de maintenance dans lesquelles les algues jouent un rôle central : méthode du Dr Adey (filtration sur lit d'algues) ou plus récent, l'aquarium Ecosystème de Leng Sy.
On peut cependant envisager de maintenir un aquarium récifal sans faire appel à une culture d'algues supérieures. La gestion des nutriments dans l'aquarium marin a longtemps été un combat qui aujourd'hui ne devrait plus poser de problèmes par le perfectionnement des méthodes courantes de maintenance. Le cycle de l'azote est aujourd'hui bien maîtrisé en milieu clos où l'action combinée des écumeurs et des bactéries dénitrificatrices et dénitrifiantes aboutit à une transformation complète de l'azote potentiellement dangereux pour nos hôtes sous sa forme oxygénée (nitites, NO2- ; nitrates, NO3-) ou hydrogénée (ammonium, NH4+) en diazote gazeux (N2) qui s'élimine par équilibration avec le diazote atmosphérique.
Le cycle du phosphore quant à lui n'est pas complet en milieu clos car il n'existe pas de forme gazeuse comme pour l'azote. La conclusion est donc sans appel : en absence d'une stratégie d'export bien établie, il y a accumulation inéluctable du phospore dans le bac. Cette accumulation des phosphates dans l'aquarium marin peut se faire sans signe extérieur net et sans mesure détectable par les tests classiques du commerce. Un taux élevé de phosphate favorise la prolifération des algues et agit négativement sur la calcification des coraux.
Le premier réflexe pour limiter l'accumulation des nutriments dissous est d'en limiter au maximum l'introduction. Il convient donc de préparer l'eau de mer artificielle avec une eau sans nitrates et sans phosphates. Cette même eau sert aussi à compenser l'évaporation. Dans beaucoup de région de France, cela implique d'utiliser d'un osmoseur pour purifier l'eau. Cette approche permet aussi de limiter l'introduction de silicates qui favorise la prolifération des diatomées qui construisent un squelette à base de silice
Photos, Julien THEODULE
Les sources de déchets azotés sont toujours liées à la matière organique (nourriture, excréments des poissons, urine, cadavres en décomposition…). Les origines du phosphore sont plus diverses : il peut provenir des déchets organiques mais aussi du substrat dissous par le réacteur à calcaire, du sable ou de l'eau des nourritures congelées. Le grand principe pour limiter les nutriments dissous est de retirer le maximum de matière organique avant sa décomposition en nitrates et phosphates. Cela passe par une filtration rapide dont la masse filtrante est lavée très régulièrement et par l'utilisation d'un écumeur correctement dimensionné. Le siphonnage régulier des sédiments dans la décantation et le clochage du sable lorsqu'il est d'une granulométrie suffisante font également partie d'une maintenance rigoureuse. Le brassage joue un rôle important en limitant la sédimentation dans le bac principal et il devrait idéalement être alterné.
Dans le milieu naturel, le lien entre les nutriments dissous (tous ou partie) et la présence d'algues désirables ou indésirables n'est pas aussi net que ce qui avait été envisagé il y a quelques années. Si l'eutrophisation du milieu induit clairement une prolifération des algues au détriment des coraux (par exemple à proximité des ports ou des estuaires), la prolifération des algues peut aussi s'observer en absence de taux anormalement élevés de nutriment. Cette prolifération s'observe notamment lorsque la densité des herbivores (oursins, chirurgiens, mollusques) est réduite à la suite de maladies ou d'une pêche extensive, ou après des événements climatiques qui détruisent une partie des coraux, dégagement ainsi un nouvel espace pour les algues.
c) Indésirables ou recherchées ?
Les algues sont apparues bien avant les coraux. Ce sont d'ailleurs des formes symbiotiques de d'algues unicellulaires (zooxanthelles) qui permettent aux coraux hermatypiques de se développer. Reconstituer un milieu favorable aux coraux photosynthétiques, c'est reconstituer de facto un milieu propice à de nombreuses autres algues.
Considérées longtemps comme la référence de maintenance des aquariums marins, les algues supérieures passent aujourd'hui souvent au second plan et sont même quasi-inexistantes dans la plupart des bacs récifaux. Mais nombre de ces mêmes bacs connaissent des problèmes d'algues " inférieures " qui prospèrent, parfois sans raison apparente. Pour le néophyte, il y a deux " catégories " d'algues : celles qui sont appelées algues " supérieures " et " bénéfiques " en raison de leur structure et de leur mode de croissance (caulerpes, Halimeda par exemple) et celles qui sont appelées algues " inférieures " et classées " indésirables ".
Photo, Herve ROUSSEAU
En fait cette classification n'a pas beaucoup d'intérêt et il vaut mieux considérer qu'une algue devient indésirable lorsqu'elle est envahissante et qu'elle empêche une maintenance correcte des autres hôtes de l'aquarium récifal, en particulier des coraux.Dans cette catégorie, on retrouve les algues filamenteuses en tout genre : Derbesia sp., Bryopsis sp. mais aussi les algues de type cyanobactéries que nous verrons dans les paragraphes suivants.
En raison de leurs biologies similaires, nous pouvons nous poser la question de l'équilibre possible entre ces deux " types " d'algues : comment cultiver des algues supérieures sans envahissement par des algues inférieures ? Comme souvent pour nos aquariums récifaux, tout est une question d'équilibre : lorsqu'il y a compétition entre algues supérieures et algues inférieures, les algues supérieures prennent souvent le dessus. Ainsi, si nous offrons des conditions propices à cette compétition, il sera possible de cultiver des algues supérieures sans apparition d'algues inférieures. Si les conditions du milieu sont " trop riches ", en nutriments notamment, toutes les algues pourront apparaître, inférieures comme supérieures. Mais si le milieu est trop pauvre, aucune algue ne pourra se développer.
L'autre facteur déterminant, dans la nature comme dans notre écosystème, pour la croissance des algues est la population d'herbivores. En effet, la présence de poissons herbivores, d'escargots, de bernards l'ermite, voir de limaces conditionne grandement la présence d'algues. Comme nous le verrons dans la suite de ce thème, certains herbivores s'attaqueront à certaines algues et d'autres pas.
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