Le brassage de l’aquarium récifal
Date: 17 novembre 2006 à 00:00:00 CET Sujet: La rubrique d'Aquamag
L’hydrodynamisme est un élément déterminant dans l’écologie des récifs coralliens. Les mouvements de la masse d’eau provoqués par la houle, les courants et les marées favorisent des échanges de matière et d’énergie qui sont indispensables à la plupart des animaux marins. La distribution des coraux, ainsi que leur morphologie et leur coloration notamment, sont sous l’influence directe de l’hydrodynamisme.
Dans l’aquarium marin, le brassage a longtemps été considéré comme un paramètre mineur dont la description se résumait à une simple valeur de volume d’eau brassée par heure. Pourtant, l’hydrodynamisme est un sujet complexe, autant en écologie récifale qu’en aquariophilie. Une mauvaise gestion du brassage conduit souvent à l’échec. L’observation des phénomènes naturels doit guider l’aquariophile dans la mise en place d’un brassage adapté au milieu qu’il souhaite reproduire.
L’hydrodynamisme sur les récifs
Ce terme scientifique regroupe des phénomènes bien connus de tous : les marées, les vagues et les courants qui constituent l’ensemble des mouvements d’eau sur les côtes. On classe les déplacements de l’eau selon trois grandes catégories: la houle, la turbulence et le flux laminaire. Leur intensité relative et les effets résultant de leur rencontre avec le fond et les massifs récifaux sont autant d’éléments qui font que chaque zone du récif possède un hydrodynamisme unique. Il semble donc a priori impossible de reproduire en milieu captif les conditions du milieu naturel. C’est particulièrement vrai pour un aquarium dont les espèces maintenues ont été choisies sur des critères uniquement esthétiques. Il faut cependant constater que le choix d’une population cohérente et la volonté de reproduire une zone précise du récif rendent cette tâche plus aisée. La vitesse des courants est très variable selon la zone récifale considérée (d'après une étude d’Angela McGehee, 1998) et la répartition entre chaque type de déplacements varie également (voir la base de connaissance sur les récifs ). Au niveau de la pente externe et à partir d’une certaine profondeur, les courants laminaires sont dominants. La houle, par contre, est le mouvement principal observé sur la crête récifale et le platier. On observe une diversité morphologique des coraux liée pour une part à l’intensité lumineuse et pour l’autre part à l’hydrodynamisme de la zone concernée. Dans les zones où l'agitation est très forte – la crête récifale par exemple -, on rencontre principalement des formes ramassées, voire même encroutantes, alors que dans les zones plus calmes, les colonies sont plus branchues et graciles (Morton 1974). Si l’adaptation des coraux à leur environnement est démontrée, la nécessité d’un brassage adapté ne semble pas évidente en première analyse. Pourtant, il s’agit bel et bien de la circulation centrale du récif. Ce "cœur" favorise la mise en mouvement et l’évacuation des déchets autour des invertébrés sessiles (y compris du mucus et des "mues" qu’ils produisent), et l’apport d’éléments nutritifs à des animaux qui ne peuvent se déplacer. Ce brassage, assure aussi une disponibilité permanente des éléments chimiques requis pour la photosynthèse et la calcification, et facilite leur assimilation en réduisant l’épaisseur de la couche d’eau superficielle qui entoure les polypes coralliens.
Pousse "non naturelle" induite par un brassage fixe (colonie de Seriatopora histrix)
Photo, Christian Seitz
Application en aquarium
La complexité de l’hydrodynamisme du récif et son importance pour les animaux issus de ce milieu font du brassage un des aspects les plus critiques de l’aquarium récifal moderne. On parle souvent d’une règle unique pour le brassage de l’aquarium : brasser dix à vingt fois le volume du bac par heure. Si cette règle empirique a le mérite d’exister, elle ne prend pas en compte les animaux hébergés. Elle est aussi limitée par le type des pompes utilisées et par leur positionnement. En effet, un brassage égal à quarante fois le volume du bac par heure et obtenu à l’aide d’une seule pompe sera potentiellement bien moins bon qu’un brassage égal à dix fois le volume du bac par heure mais réalisé par une multitude de petites pompes judicieusement placées.
On entend souvent dire que compte tenu de l’irrégularité du brassage sur le récif, il convient de recréer des courants turbulents en positionnant les pompes de manière à ce que les courants provoqués se rencontrent. C’est justement ce que nous conseillons d’éviter, quel que soit le type de pompe utilisé et quelle que soit la zone récifale reproduite. En effet, les pompes de brassage sont souvent dotées d’un diamètre de sortie relativement faible ce qui engendre un flux puissant d’une grande vélocité mais sur une surface insuffisante. La rencontre de ces différents flux crée des courants cisaillants qui, en plus de faire perdre de la puissance au brassage, agissent comme de véritables pointes d’aiguilles sur les coraux et peuvent les blesser. Il est donc préférable de placer les pompes de brassage afin de créer des courants dans une direction donnée et d’utiliser l’eau comme volant d’inertie. Le principe est d’ailleurs simplissime et correspond au réflexe quotidien que vous avez lorsque vous sucrez votre café. Avec la cuillère, vous exercez un mouvement de rotation pour faciliter la dissolution ! En aquarium, le courant généré de cette manière correspond à un courant laminaire avec quelques turbulences liées au décor et aux animaux. Cela correspond au courant des zones profondes du récif, mais cela peut également convenir à la reproduction d’une zone lagunaire en réduisant la vitesse et en construisant un décor adapté.
Le choix des pompes
Le choix des pompes est prépondérant (à droite une pompe Stream de Tunze, photo C. Seitz). Le débit n’est qu’un élément parmi les critères de choix. La puissance, le diamètre de sortie, le type de moteur (synchrone ou asynchrone), la vitesse d’éjection sont également à prendre en compte. Par exemple, les pompes synchrones démarrent à pleine puissance, et le sens de rotation n’est pas déterminé puisqu’il dépend de la phase du courant alternatif au moment du démarrage. Ces paramètres
varient selon les constructeurs avec un rendement des pompes plus ou moins important (ratio entre la puissance électrique consommée et le brassage produit). Compte tenu des puissances d’éclairage et du matériel des bacs récifaux, la chaleur produite est un des ennemis de l’aquariophile marin. Les pompes de brassage ont un rôle très important à jouer dans cette lutte. En effet, la quasi-totalité de l’énergie consommée par une pompe immergée est convertie in fine en chaleur, ce qui peut être problématique lorsqu’on multiplie le nombre de pompes de brassage. Cet aspect donne un avantage aux pompes de brassage dont le moteur est extérieur et refroidi par air (type Turbelle 4002 de Tunze) et aux pompes immergée électroniques (Turbelle Electronic de Tunze par exemple) qui développent une puissance élevée pour une consommation relativement faible. Une autre caractéristique déterminante dans le choix de la pompe est la vitesse d’éjection, le diamètre de sortie et la courbe de répartition de la vitesse en fonction de la distance par rapport à la pompe. Malheureusement, ces courbes ne sont que très exceptionnellement disponibles. Elles devraient permettre à l’aquariophile de choisir son brassage en prenant en compte l’ensemble des paramètres. Certaines pompes possèdent par exemple une vitesse d’éjection très importante, avec un diamètre de sortie très réduit, et perdent énormément de puissance après quelques dizaines de centimètres de pénétration dans la colonne d’eau. Si leur rapport prix/performances semblent bien adaptés pour des aquariums de volume modéré, il devient difficile d’obtenir un brassage correct avec ce type de pompe pour des volumes supérieurs à quelques centaines de litres.
La sécurité et l’aquarium |
En cas de coupure de courant, l’aquarium récifal est en péril… et le brassage de l’eau, moteur de l’oxygénation est l’élément le plus souvent déterminant dans la longévité des animaux du bac. L’utilisation d’un convertisseur de tension (12V DC/ 220V AC) et d’une batterie de voiture permettent, moyennant un montage électrique relativement simple, de déclencher une ou deux pompes en cas de coupure de courant. Plus que jamais, le rapport entre puissance consommée et volume brassé est déterminant ! Notons également que certaines pompes électroniques fonctionnent en courant continu et peuvent être raccordées sur batterie sans convertisseur de courant.
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L’alternance du brassage
Très souvent négligé par les aquariophiles notamment pour des raisons de coût, le brassage alterné constitue pourtant une des clés de réussite d’un aquarium récifal. L’influence des marées sur l’hydrodynamisme du récif est très important. Il convient d’essayer de reproduire ces conditions particulières d’alternance. Lorsque un brassage "unidirectionnel" est mis en place pour créer un mouvement de rotation dans l’aquarium, il convient de disposer une autre pompe (ou autre ensemble de pompes) destinée à recréer le même courant mais de direction opposée. Une alternance des deux pompes ou groupes de pompes toutes les six heures permet aux animaux de bénéficier d’un brassage dans toutes les directions, ce qui est essentiel par exemple pour les coraux mous et gorgones qui exposent de cette façon la totalité de leurs polypes. De plus, cela remet en mouvement les sédiments qui, lorsque le brassage n’est pas alterné, ont tendance à s’accumuler dans certaines zones (zones mortes) de l’aquarium avec tous les effets négatifs inhérents. Cette alternance des flux est avantageusement complétée par des pulsations. Sur des pompes de fortes puissances et dotées idéalement de sorties de large diamètre, ces pulsations correspondent à des variations de flux dont on règle l’amplitude et la fréquence. Elles permettent d’engendrer une forme de houle qui est absente lorsque les flux sont constants.
Le marché offre différents types d’appareils destinés à piloter séquentiellement des pompes et à reproduire un brassage alterné et/ou pulsé (à gauche un Multicontroller Tunze, photo C. Seitz). Il convient de s’y attarder afin de juger de la valeur de ces produits, de leur adéquation avec l’écosystème reproduit, mais aussi de leur adaptation aux pompes utilisées dans l’aquarium. En effet, certaines pompes acceptent très mal des démarrages et des extinctions fréquentes, et s’usent prématurément avec certains générateurs de vagues. L’intérêt d’un pilotage complètement aléatoire des pompes de brassage est d’ailleurs limité pour la plupart des aquariums récifaux et une alternance des pompes toutes les six heures sera préférée.
Conclusion : à chaque aquarium son brasssage
Sur le récif, chaque parcelle de récif possède des conditions hydrodynamiques qui lui sont propres et il devrait en être de même dans l’écosystème captif. Selon la zone récifale que l’on souhaite reproduire et des animaux que l’on veut héberger, du volume que l’on offrira aux habitants, une solution de brassage spécifique doit être trouvée. Il conviendra de ne pas négliger ce point, même si les solutions qui s’imposent sont coûteuses car le brassage, avec l’éclairage et le traitement de l’eau, reste un des éléments essentiels d’un aquarium récifal réussi.
En savoir plus - Un brassage…original !
Lassés des pompes de brassage traditionnelles, certains aquariophiles et certains fabricants ont élaboré des systèmes originaux pour tenter de reproduire au mieux le brassage du récif. Aux Etats-Unis par exemple, le brassage n’est pas appréhendé de la même manière qu’en France. La cuve de décantation est plutôt perçue comme une cuve technique, et le volume échangé entre la cuve technique et le bac principal est souvent très important. Cela permet de réaliser un brassage basé uniquement sur la ou les pompes de remontée. Les pompes utilisées sont le plus souvent des pompes externes et la "plomberie" du bac est un challenge qui occupe beaucoup les aquariophiles américains qui calculent les pertes engendrées par les différents éléments de remontée (coudes, longueurs de tubes, dérivations…) pour créer un brassage suffisant. Si leur côté esthétique n’est pas à démontrer, ces solutions rendent l’alternance du brassage très complexe. Pour lutter contrer ce point faible, certains constructeurs ont élaboré des électrovannes, d’autres des "oscillateurs" qui s’adaptent sur les sorties des remontées et permettent de faire varier la direction du flux.
Une autre solution originale consiste à apporter un volume très important à l’aquarium en un instant donné, comme le ferait une vague qui déferlerait sur le récif. Un effet de houle est ainsi obtenu et s’additionne au courant généré. Ces systèmes sont des boîtes basculantes qui sont remplies par l’eau provenant de la décantation et qui, lorsqu’elle sont pleines, basculent brutalement dans l’aquarium créant une vague. Les inconvénients sont multiples (volume occupé, bruit, dépôts de sels, problèmes de débordements…). Une évolution de ces systèmes consiste à utiliser au-dessus du bac une petite cuve qui est remplie sur le même principe que la boîte basculante, mais qui se vide par un mécanisme de chasse d’eau !
Gif Animé, Julien THEODULE
Lorsque le niveau d’eau dans la cuve est suffisant, l’action de flotteurs permet le déclenchement du mécanisme d’évacuation qui est dirigé vers l’aquarium pour générer un flux intense dont la vitesse est déterminée par le diamètre du tuyau de chasse.
En matière de brassage, la plus grosse nouveauté de l’année 2004 et du salon Interzoo de Nuremberg a été le nouveau système de brassage Tunze appelé Wavebox © qui a fait beaucoup parler de lui par son originalité. L’idée de départ est de reconstituer l’effet du ressac en mettant en mouvement l’ensemble de la masse d’eau suivant un rythme périodique. Cette "boite" est d’apparence identique aux écumeurs Comline © et se règle grâce à un contrôleur qui permet de déterminer la fréquence d’oscillation propre de chaque aquarium.
Photos, Claude Hug et Christian Seitz
L’effet de cette boite à vague est stupéfiant. Elle crée un mouvement de ressac très naturel avec toutes les contraintes que cela entraîne : variation du niveau d’eau, contraintes physiques supérieures sur les collages du bac, onde uniforme plutôt que courants…
A noter la variation de niveau par rapport au peigne de la colonne de débordement
Photos, Christian Seitz
Comme le confirme son fabriquant, elle est plutôt adaptée aux bacs de taille importante et est avantageusement complétée par d’autres pompes de brassages afin de créer des courants laminaires additionnels et un mouvement plus naturel de l’eau dans l’aquarium. Ce nouveau système ouvre la voie pour une nouvelle génération de matériel de brassage qui permet enfin de recréer avec succès le ressac présent sur les zones les moins profondes du récif. Nous ne pouvons que nous en féliciter !
Bibliographie partielle
Aquarium Corals : Eric Borneman
Coral Reef Ecology Y. Sorokin
L’aquarium récifal Tome 1 : Julian Sprung et J.C Delbeek
Pourquoi le brassage de l’eau ? Stephane Fournier Aquarium recifal
Un brassage à la carte Claude Hug Aquarium Magazine 149
Article écrit par Florian Lesage & Hervé Rousseau et publié par Récifs.org le 17/11/2006
Cet article est paru dans Aquarium Magazine n° 216 après édition de la rédaction n'engageant pas la responsabilité des auteurs.
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