Vodka on the reefs : le bon cocktail ?
Date: 20 décembre 2006 à 00:00:00 CET
Sujet: La rubrique d'Aquamag


Vodka
L’aquariophilie marine n’échappe pas aux modes. Un point commun à la plupart des techniques et des appareils à la mode est que leurs bases rationnelles sont rarement établies, qu’ils soient révolutionnaires ou totalement fantaisistes. C’est ainsi qu’ont été développés des méthodes de maintenance et du matériel encore utilisés aujourd’hui. Mais il faut reconnaître qu’un nombre bien plus grand encore de voies ont été explorées qui sont restées sans issue. Cet article d’Info Récifs présente LE sujet à la mode : la méthode "vodka".




L’ajout de vodka dans le bac est suivi d’une réduction des concentrations en nitrates et en phosphates dissous. Mais vous, connaissez-vous la dose de vodka idéale pour un Lagon Bleu réussi ?


Les bases de la méthode : des bactéries et de l’éthanol

Malgré leur simplicité extrême, les bactéries ont su s’adapter à tous les milieux, des plus chauds aux plus acides. Ces organismes sont les plus abondants, et ils ont colonisé l’ensemble du globe sous de nombreuses variétés aux propriétés bien différentes : certaines espèces n’ont besoin que d’éléments minéraux (chimioautotrophes) ou de lumière (photoautrotophes) pour prospérer, d’autres ont besoin de molécules organiques (hétérotrophes). Un être humain « promène » sur sa peau et dans son système digestif plus de bactéries que son propre corps ne compte de cellules vivantes. C’est la même chose pour un aquarium récifal ! Même si vous ne les voyez pas, votre bac héberge un nombre incalculable de bactéries. Elles sont à la base de toutes les méthodes récifales réussies, en particulier les bactéries qui transforment les déchets azotés. Les Pierres Vivantes et les lits de sable épais hébergent les bactéries aérobies et anaérobies qui assurent les étapes successives du cycle de l’azote. cycle azote Celles-ci sont hétérotrophes et tirent donc leur énergie d’une source de carbone qui provient pour l’essentiel de la nourriture apportée aux organismes supérieurs (poissons, invertébrés) et de la décomposition de ces organismes lorsqu’ils meurent. Dans un aquarium récifal équilibré, les composés carbonés sont présents en quantité suffisante pour l’ensemble des bactéries hétérotrophes hébergées. Certains amateurs avertis ont pour habitude - en particulier en bac Jaubert - d’apporter une source additionnelle de composés carbonés au démarrage du bac, le plus souvent sous forme de sucre, afin d’accélérer la prolifération des bactéries dénitrifiantes et dénitrificatrices. Mais les bactéries n’entrent pas en jeu uniquement dans le cycle de l’azote. Certaines jouent un rôle dans d’autres équilibres comme celui-ci du cycle du phosphore. Ce cycle est plus complexe que celui de l’azote et met en jeu plusieurs formes de composés phosphorés. Il fait aussi intervenir les animaux et algues qui ont une place toute aussi importante que celle des bactéries.



Cycle du phosphore
La principale différence entre le cycle du phosphore et celui de l’azote est que le premier n’est pas complet en aquarium récifal. Le phosphore, en particulier sous la forme de phosphates, n’est que partiellement extrait du système. Il convient dès lors d’en limiter les apports (utilisation d’eau osmosée, charbon de bonne qualité, rinçage de la nourriture) mais également d’assurer un entretien rigoureux de l’aquarium récifal (clochage, siphonnage des sédiments…).



phosphate phosphate
Photos, Julien THEODULE, Christian SEITZ


Le traitement des phosphates est une vieille préoccupation des industriels en charge de l’épuration des eaux usées. D’abord tentée par une voie chimique, puis par l’utilisation d’algues diverses, en passant par d’hypothétiques traitements électriques ou magnétiques, une solution bien maîtrisée aujourd’hui est celle du traitement par voie biologique. Cette solution exploite les facultés de certaines bactéries hétérotrophes à extraire puis à stocker des quantités considérables de phosphates dissous et donc de les transformer en produits beaucoup plus facilement extractibles. Ces bactéries sont hébergées au sein de réacteurs et sont nourries de matière carbonée… Dans l’esprit cette approche rappelle une application aquariophile bien connue qui est celle du dénitrateur hétérotrophe. A la différence toutefois que dans le cas du réacteur à phosphate, il faut procéder à un nettoyage régulier pour exporter le phosphore extrait et fixé. Une source de carbone utilisable pour le traitement des eaux est le glucose, de formule chimique : C6H12O6 ; pour une raison relativement simple : en dehors du carbone, on ne rajoute rien. D’autres sucres courants (sucrose, fructose) ainsi que de l’éthanol (CH3CH2OH) peuvent être employés comme source de carbone organique.


 Vodka
D’ou vient la vodka ?
La vodka est produite à partir de matières premières comme l’orge, le seigle, le froment ou les pommes de terre. Après la fermentation vient une triple distillation, puis la dilution de l’alcool par de l’eau pure afin de le rendre propre à la consommation. La dernière étape est constituée d’un filtrage sur charbon de bois ou sable. L’ensemble de ces étapes assure à la vodka une grande pureté : elle n’est consituée que d’ethanol et d’eau.

Photo, Christian Seitz



L’ajout de vodka en aquarium

L’ajout de vodka n’est pas une révolution en soi, mais la manifestation plus à la mode d’une vieille pratique qui est l’ajout de sucre. Depuis plusieurs années, certains aquariophiles ont pris pour habitude d’ajouter du glucose dans leur aquarium dans le but de réduire la concentration des nitrates. Comme nous l’avons vu, un bac récifal bien conçu ne nécessite pas d’adjonction de sucre puisque les bactéries dénitrifiantes et dénitrificatrices sont présentes en quantité suffisante dans les Pierres Vivantes et /ou les couches épaisses de sable. Pourtant, on constate une diminution effective de la concentration en nitrates dans le cadre d’un ajout raisonné et maîtrisé de glucose. Le plus étonnant est que cette diminution des nitrates est le plus souvent accompagnée d’une diminution des phosphates dissous. La simple stimulation de l’activité des bactéries anaérobies dénitrificatrices ne peut être à l’origine de cela. Il faut donc envisager un autre mécanisme. La première hypothèse est que les bactéries qui fixent les phosphates et que nous avons mentionnées plus haut entrent en jeu. Elles ne sont cependant pas extraites et le phosphore reste dans le bac : en cessant l’ajout de sucre, ces bactéries, en raison de leur biologie, devraient réutiliser l’énergie investie dans le stockage des phosphates et donc restituer ces phosphates à la colonne d’eau. Dans le cadre d’un lit de sable de sable épais ces phosphates peuvent précipiter - au moins en partie - sur l’aragonite mais qu’en est-il dans un bac à sol nu ? On sait par expérience qu’il n’y a pas d’augmentation brutale des phosphates dissous après l’arrêt d’ajout de sucre et cela même dans un bac à sol nu. Il faut donc émettre une autre hypothèse qui a l’intérêt d’être plus simple et plus plausible : l’ajout d’une source de carbone organique déclenche une prolifération généralisée des bactéries hétérotrophes. Celles-ci vont puiser dans l’eau les éléments qui vont leur fournir l’azote, le phosphore et le soufre dont elles ont besoin pour se construire, c’est-à-dire nitrates, phosphates et sulfates ! Après arrêt de l’ajout, les populations vont décroître naturellement et une grande partie des bactéries va mourir. La production accrue d’écume par l’écumeur durant et après le traitement est en accord avec cette hypothèse, que cette écume soit constituée de débris bactériens ou du zooplancton/phytoplancton qui absorbe ces bactéries. La prolifération bactérienne est d’ailleurs visible sur les sur les surfaces vitrées qui se salissent plus rapidement lors du traitement. Par ailleurs, un surdosage se traduit immanquablement par une prolifération excessive qui devient telle qu’elle trouble l’eau.


vodka
Photo, Julien THEODULE

L’utilisation de vodka à la place du glucose est assez difficile à interpréter ou à justifier et ne présente pas de réel intérêt d’un point de vue biologique. Certains avancent des critères financiers, d’autres pratiques… Quoi qu’il en soit nous vous conseillons plutôt l’utilisation du simple sucre blanc raffiné ! Le sucre de table est pur, bon marché et tout aussi efficace que la vodka et le glucose. La quantité de sucre à ajouter dans l’aquarium dépend fortement des paramètres et il suffit de comparer les doses préconisées dans les articles décrivant la méthode vodka pour se rendre compte qu’aucune règle ne détermine la quantité à ajouter ! En réalité, l’effet escompté de l’ajout de glucose ou de vodka est simplement une augmentation de la population bactérienne, population qui ne peut en aucun cas être quantifiée dans un aquarium. C’est pourquoi les ajouts ne peuvent être réalisés que de manière empirique, ce qui explique une dose souvent faible en début d’expérience suivie d’une augmentation progressive des quantités ajoutées. Un demi morceau de sucre (2.5 g) pour 500 litres par 24 heures est une dose à ne pas dépasser au risque de déclencher une prolifération bactérienne explosive. Et dans ce type d’expérimentation comme pour tant d’autres, pas de précipitation ! Les effets ne seront pas mesurables avant plusieurs jours, donc inutile d’en rajouter…


Quand le bac désaoule…

L’ajout d’une source de carbone organique dans l’aquarium a comme principal effet la croissance de l’ensemble des populations bactériennes hétérotrophes qu’elles soient considérées comme désirables ou indésirables ! Les cyanobactéries sont notamment favorisées par l’ajout de sucre comme tout autre bactérie. On a également pour habitude de lier la présence ou non de cyanobactéries au rapport de Reinfeld (rapport entre l’azote et le phosphore) qui lorsqu’il varie a une influence notable sur l’apparition et la prolifération de celles-ci. Dans le langage commun, les bactéries sont souvent associées à la maladie…En effet, un nombre de maladies sont d’origine bactérienne y compris dans l’aquarium marin. L’ajout de glucose peut alors avoir un effet indésirable en favorisant la prolifération de germes infectieux… Certains aquariophiles ont également pu constater des explosions bactériennes dont le premier effet est un trouble de l’eau et dont les effets secondaires sont mal connus, mais dont le plus évident est une consommation excessive de l’oxygène dissous qui se fait au détriment des autres organismes hébergés, en particulier lors de la phase obscure.

coktail Lagon Bleu Le principal problème de cette méthode vodka, comme celle de l’ajout d’autres sources de carbone organique, est que l’on ne maîtrise pas ce que l’on fait. On favorise le développement d’organismes hétérotrophes et l’on augmente alors considérablement la biomasse en organismes dont le métabolisme produit une grande quantité d’acide. L’ajout de carbone organique provoque donc indirectement une diminution conséquente du pouvoir tampon de l’eau (KH). Les bactéries qui prolifèrent prélèvent aussi un nombre élevé d’éléments pour se construire dont le calcium, le fer et bien d’autres éléments trace. Les effets de l’ajout de glucose peuvent ainsi être désirables (diminution des nitrates et des phosphates) comme indésirables (diminution du KH et du calcium). L’ajout doit donc se faire en contrôlant avec application tous ces différents paramètres et ne doit pas durer trop longtemps. Fidèles à la philosophie que nous développons depuis nos débuts dans la rubrique InfoRécif, nous ne saurions conseiller l’expérimentation de la méthode vodka qu’aux aquariophiles les plus avertis. Pour les autres, qu’ils nous pardonnent de répéter que le succès d’un aquarium récifal réside d’abord dans sa conception initiale et dans son suivi régulier. L’utilisation ponctuelle de résines anti-phosphates par exemple et un entretien rigoureux de l’aquarium nous semble moins aléatoire que l’ajout de carbone organique.

Pour le cocktail Lagon Bleu, un volume de vodka pour un volume de curaçao bleu et un volume de jus de citron vert ou de pamplemousse sur de la glace pilée est une recette tout à fait convenable : à déguster devant votre bac et avec modération bien sûr…


Pour aller plus loin : expérimentation et aquariophilie… Est ce bien raisonnable ??

La population des aquariophiles se renouvelle régulièrement et les esprits les plus féconds empruntent souvent les mêmes chemins. Des débats récurrents prennent donc naissance sur les forums Internet comme dans les clubs concernant la validité et la crédibilité du dernier sujet à la mode…Et bien entendu, la méthode vodka n’échappe pas à cette règle. Les anciens interviennent généralement peu mais cette fois ci, c’est Eric Borneman qui s’est attelé à la tâche dans une série d’articles parus dans le magazine en ligne ReefKeeping :

The Old Becomes New, Yet Again: Sandbeds and Vodka , part 1
The Old Becomes New, Yet Again: Sandbeds and Vodka , part 2


Il attire l'attention sur la tendance que possèdent la plupart des aquariophiles à énoncer des vérités sans réelle maîtrise du phénomène considéré et sans prendre en compte les observations réalisées précédemment. Dans le cas de la méthode vodka, il reprend l’article à l’origine de cette nouvelle mode : Mrutzek M, and J Kokott. 2004. Ethanoldosierung im Aquarium - neue Wege zur Verbesserung der Lebensbedingungen. Der Meerwasseraquarianer 8: 60-71. Une fois balayées les considérations biologiques exposées en introduction et qu’il considère comme partiellement erronées, Eric reprend la plupart des arguments développés dans l’article en citant des contre-exemples et des références supportant les thèses inverses ! Le but n’est pas ici de reprendre tous ces éléments point par point, même si l’exercice n’est pas sans intérêt… Mais il nous a semblé important de profiter de cette colonne pour mettre en garde les aquariophiles contre toutes les nouveautés et phénomènes de mode qu’on a l’habitude de leur "vendre", en particulier les vérités énoncées par des personnes dont l’expérience aquariophile est très discutable. Certes la méthode vodka n’est pas dénuée de sens ni d’intérêt dans certains cas précis… Mais les raccourcis sont dangereux. On entend couramment : " Tu as des nitrates ?? Mets de la vodka, un verre tous les jours et tu verras ! "… Et les changements sont parfois radicaux. Des personnes expérimentées ont décrit un changement net dans l’équilibre de leur écosystème avec de nombreux phénomènes que la plupart des aquariophiles ne pourraient pas percevoir…


vodka
Photo, Julien THEODULE

Alors quel doit être le comportement des aquariophiles devant ces avalanches de phénomènes de mode, du lit de sable épais (Deep Sand Bed) à la boue miracle (Miracle Mud) en passant par cette fameuse méthode vodka ? Nous ne saurions que trop vous conseiller d’adopter le principe de précaution et de ne vous livrer à des expérimentations que lorsque vous penserez être en mesure de maîtriser et contrôler les éventuels effets inattendus. Il convient également de multiplier ses sources d’information, les recouper et vérifier leur validité. Par exemple, Internet est un excellent outil de recherche, mais on y trouve le meilleur comme le pire, et parfois sur les sites qui ont le plus de visiteurs… Cherchez donc du côté des sites de qualité en n’hésitant pas à poser des questions sur les forums… Le raisonnement est le même pour les clubs. Fuyez tous les jugements à l’emporte-pièce, ils sont forcément faux ! Le raisonnement opposé consisterait à dire que la Science n’aurait pas tant progressé sans l’expérimentation, alors pourquoi n’en serait-il pas de même avec l’aquariophilie ? Tout simplement parce que la plupart des adeptes de ce loisir ne se positionnent pas dans une démarche scientifique - et c’est bien normal ! - avec toute la rigueur et les moyens financiers que cela impose. Ils aiment également jouer aux apprentis chimistes… Aussi, nous vous invitons à faire votre la philosophie de la plupart des aquariophiles expérimentés : "Lorsque le bac est bien conçu, moins on y touche, mieux il se porte !", alors admirez et observez…



Article écrit par Florian Lesage & Hervé Rousseau et publié par Récifs.org le 20/12/2006


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Cet article est paru dans Aquarium Magazine n° 221 après édition de la rédaction n'engageant pas la responsabilité des auteurs.


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