Le marché aquariophile : quelles alternatives ???
Date: 07 janvier 2004 à 00:00:00 CET
Sujet: Animaux


Ecologie
Aujourd'hui la grande majorité du commerce aquariophile est approvisionnée en poissons sauvages. Par ce terme, on entend des poissons qui ne sont pas nés en milieu captif. Pourtant, derrière ce mot se cachent plusieurs définitions et les poissons que vous propose votre revendeur n'ont pas tous les mêmes chances de survie.









Les poissons sauvages sont prélevés du milieu naturel par différentes techniques de pêche. Le plus souvent, ces pêches ne sont pas sans conséquence pour le milieu naturel et pour le poisson capturé. Nous allons ainsi tenter de dresser un bilan de la filière d'approvisionnement pour l'aquariophilie, avec les perspectives que cela augure.

1) Le système commercial

Aujourd'hui, l'importation des poissons marins impose un agrément des locaux ce qui signifie que soit votre magasin possède cet agrément, soit qu'il passe par une société tierce. Mais commençons par le premier maillon de la chaîne. La plupart du temps, ce sont de très petites sociétés assimilables aux artisans. Ce sont eux qui effectuent les prélèvements naturels. Ensuite, ils revendent les poissons à des grossistes, qui stockent les poissons. Ces grossistes ont pour client des sociétés d'import-export qui revendent les poissons soit directement aux magasins agréés, soit à des grossistes français qui acclimatent les poissons avant de les revendre aux magasins n'ayant pas les agréments requis. Cette chaîne est bien entendu théorique puisque certains maillons peuvent être soudés.

La principale constatation que l'on peut faire sur ce système est que le nombre d'éléments fait que le client n'a objectivement aucune connaissance du passé du poisson à part peut être la provenance lorsqu'il la demande.

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Photo, Hervé Rousseau


a. Les méthodes de pêche

La méthode de pêche pour le commerce aquariophile la plus tristement célèbre, de plus en plus médiatisée, est la pêche au cyanure. Le principe est très simple et redoutablement efficace : les pêcheurs se munissent de pissettes remplies d'une solution à base de cyanure et effectuent sous l'eau des injections aux endroits où les poissons sont localisés, ce qui les endort, permettant ainsi au pêcheur de les attraper aisément.

Il faut également savoir qu'on médiatise beaucoup le cyanure mais que ce n'est pas le seul produit chimique utilisé pour la pêche. Le problème de ces pêches est que les conséquences sont souvent importantes pour les poissons mais aussi pour le milieu naturel : les coraux ayant reçu du cyanure en surdose meurent bien souvent dans les mois ou les semaines suivantes. Notons que d'autres méthodes de pêche beaucoup plus destructrices comme la pêche à la dynamite sont toujours utilisées pour les poissons destinés à l'alimentation, même si la dynamite ne fait pas de différence entre le poisson destiné au commerce et les autres (Lita Pet-Soede & Mark Erdmann 1997, Elisabeth Mauris).

Jusqu'à maintenant, ces techniques de pêche étaient principalement propres à 2 pays dans lesquels l'exportation de poissons d'ornement est importante : l'Indonésie et les Philippines (John Tullock 1997/1998). On a longtemps cru (scientifiques et particuliers) que le cyanure était la seule cause de la forte mortalité des poissons provenant de ces pays, conduisant à des dérèglements intestinaux fatals aux poissons. Des études ont montré que le cyanure, même s'il était bien sûr nocif pour l'organisme du poisson, n'avait pas autant de conséquences que les conditions de maintenance locales qui étaient déplorables (Hall and Bellwood 1995). En effet, ces études ont montré que jusqu'à une certaine dose, le cyanure pouvait être assimilé par l'organisme du poisson sans conséquence finale pour sa survie. Il est cependant clair que ces constatations dépendent bien entendu de l'espèce, certaines résistant mieux que d'autres à des absorptions de cyanure.

Ces affirmations peuvent être corroborées par les chiffres suivants, assez approximatifs : 80% environ du volume total de poissons exportés dans le monde le sont d'Indonésie. Sur le nombre de poissons pêchés en Indonésie, on estime qu'environ 80% le sont par utilisation de cyanure? Si l'utilisation de cyanure était fatale au poisson, on aurait des pertes uniquement liées au cyanure de 64% !!!!! Avec des pertes aux arrivages d'Indonésie largement supérieure à 50% (en tenant compte des morts lors de l'export) !!! Il est clair que ces chiffres montrent bien que les poissons ont une chance de survie même si ils sont péchés au cyanure?

Ce qui semble donc ressortir, c'est que le cyanure continue à être utilisé mais " mieux ". Les pêcheurs affinent petit à petit leurs dosages rendant les injections de moins en moins fatales, augmentant ainsi " la qualité" des poissons péchés (Pascal Faugère, communication personnelle).

Lors d'un entretien qu'il a bien voulu nous accorder, Pascal Faugère, directeur d'H2O, grossiste français en poissons tropicaux, nous parlait de son expérience dans une société de pêche au Kenya et aujourd'hui de son activité de grossiste.

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Photo, Ecocean (www.ecocean.fr)

" On arrive très facilement à identifier lors de l'acclimatation les poissons qui ont été péchés au cyanure : ils ne sont pas fatigués mais ont un comportement peu naturel, ils sont " scotchés "? En général, on a une première mortalité dès le premier jour puis on commence à nourrir le 2e jour dans les batteries. Paradoxalement, ce sont les poissons qui s'alimentent qui meurent. Il semblerait que cela soit lié au fait que le cyanure est concentré dans le tube digestif et que l'action des sucs gastriques le fait atteindre d'autres organes provoquant la mort du poisson. En revanche, si le poisson peut vivre sur ses réserves naturelles, le poison qu'est le cyanure disparaîtra ou atteindra des doses qui ne sont plus fatales. "

Il est clair que les effets du cyanure sur l'organisme des poissons sont très complexes et que certains peuvent survivre, d'autres pouvant mourir au bout de plusieurs semaines, voir même plusieurs mois.


b) Les autres maillons de la chaîne

Une fois les poissons pêchés, il sont " stockés " chez un grossiste local ou les conditions de maintenance sont bien souvent plus que précaires ? Ils sont ensuite vendus à un transhipper, sauf quand ce dernier est lui même grossiste. Les poissons sont donc expédiés, bien souvent plusieurs jours après avoir été péchés, dans les pays importateurs.

Ils arrivent soit directement chez le détaillant où ils sont acclimatés avant d'être vendus, soit chez un grossiste français qui acclimate les poissons. Cette étape est bien souvent méconnue des clients finaux, pourtant c'est cette dernière qui permet à bon nombre de détaillants d'avoir des poissons de bonne qualité. Pour prendre l'exemple de la société de M. Faugère (H2O), leur structure est composée d'un ensemble de batteries de 1 à 2 m3. Les arrivages sont tout d'abord isolés puis acclimatés en gros, des antibiotiques et un traitement au cuivre sont alors utilisés en préventif. Les poissons sont nourris dès le deuxième jour et ils sont gardés pour l'acclimatation pendant une dizaine de jours environ avant d'être envoyés chez les détaillants où leur survie est garantie pendant 48 heures.


2) Les alternatives

Aujourd'hui, grâce aux progrès de l'aquariophilie marine, un bon nombre d'espèces de poissons peuvent être reproduites en milieu captif. Parmi celles-ci, on compte bien sûr différentes espèces de poissons-clowns mais aussi des demoiselles, des apogons...

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Photo, Ecocean (www.ecocean.fr)

Tout dernièrement, l'aquarium d'Hawaï a réussi la reproduction de trois espèces de poissons anges endémiques de cette île, dont Centropyge loriculus une des espèces les plus exportées (Jan TenBruggencate pour The Honolulu Advertiser 2002). La poursuite de ces études a mené des industriels de l'aquaculture à réussir la reproduction de cette même espèce à un rythme " commercial " avec la rentabilité qui s'impose. De plus en plus de détaillants reçoivent des poissons issus d'élevage, en particulier par l'initiative de certaines entreprises notamment françaises (Ecocean notamment). Nous ne pouvons bien sûr qu'encourager ces pratiques et conseiller à tout aquariophile de préférer un poisson issu d'élevage qui sera peut-être 10 à 20% plus cher mais pour lequel l'acclimatation est quasi garantie, ceci en plus de toutes considérations écologiques. Malheureusement, la loi du marché ne va pas toujours dans ce sens comme nous le verrons par la suite... A noter que des " échanges " ou ventes entre particuliers ayant réussi certaines reproductions existent et nous ne pouvons qu'encourager ces pratiques.

Une seconde alternative à cette problématique de pillage du milieu naturel est celle de l'élevage de post-larves de poissons tropicaux pour l'aquariophilie. Elle consiste à pêcher les post larves au moment où elles quittent le plancton pour pénétrer les récifs coralliens sachant qu'à ce stade, 90% des larves disparaissent par prédation. A des fins scientifiques, Vincent Dufour (PDG d'Aquafish Technology ® ) a accepté de nous confier la liste des poissons qu'ils ont réussi à élever, cette dernière représentant plus de 350 espèces différentes. Bien sûr, toutes ne sont pas destinées à peupler nos bacs récifaux mais de nombreux poissons réputés difficiles à maintenir, nourrir ou acclimater ont pu être élevés par aquafish comme par exemple Forcipiger flavissimus , Chromis viridis ou encore Synchiropus sp . De plus, ces poissons sont élevés dans des cuves nues, parfois en bancs ou en couple et ne sont nourris qu'avec de la nourriture "deshydratée". Cela facilite grandement l'acclimatation et on pourrait considérer que cela pourrait, dans une certaine mesure, limiter le comportement de prédation de certaines espèces envers les coraux (Vincent Dufour, communication personnelle). De plus, un certain nombre d'espèces peu communes à l'exportation sont proposées à la vente comme par exemple des soles tropicales ( Samariscus triocellatus ).

Notons néanmoins que certaines de ces sociétés proposent également sous un label équivalent des poissons acclimatés, il est donc nécessaire de demander des précisions sur l'origine exacte du poisson.

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Photo, Ecocean (www.ecocean.fr)


Les enjeux économiques

Le problème de l'exploitation des ressources naturelles pour l'aquariophilie et l'alimentation des pays d'Asie du sud-est est très complexe, le nombre de paramètres en jeu étant important.

Le premier problème vient de l'éducation des pêcheurs. Aujourd'hui, comme le souligne Pascal Faugère, un indonésien pêchera dix fois plus de poissons grâce au cyanure qu'avec des techniques plus "saines" et compte tenu du prix de vente des poissons aux grossistes, il n'a guère le choix si il veut vivre décemment. La concurrence fait qu'aujourd'hui la plupart des indonésiens ne peuvent pécher qu'au cyanure pour avoir une activité rentable et pour la plupart, ils ne connaissent que ça?

Les transhippers, les grossistes français et les détaillants n'ont bien souvent aucune visibilité sur les techniques de pêche et leur activité est conditionnée par la concurrence et les prix qu'ils pratiquent. Ils sont donc contraints de pratiquer des prix toujours plus bas, du moment que les clients demandent toujours des poissons moins chers. C'est là que l'on touche le point le plus sensible du problème : le client final, c'est à dire nous, les aquariophiles. Tant que les mentalités n'évolueront pas, c'est à dire que les aquariophiles chercheront toujours à acheter leurs poissons au plus bas prix, toute la chaîne sera conditionnée pour un rendement maximal.

Dans le paragraphe précédent, nous parlions des alternatives que sont l'élevage à partir de reproduction ou celui de post-larves. Ces activités qui devraient être encouragées par les aquariophiles sont bien souvent victimes de grosses difficultés financières ? En effet, il est clair que les poissons d'élevages" ne peuvent pas concurrencer " les poissons sauvages. Pour ne prendre qu'un exemple, un Amphiprion oscellaris d'élevage coûte jusqu'à deux fois plus cher qu'un spécimen sauvage. L'écart est moins important avec des poissons pêchés à l'état de post-larves mais il existe néanmoins. Un certain nombre de projets d'élevage de poissons à partir de reproduction ont semble-t'il été abandonnés, y compris en France, pour des raisons financières.

Alors comment imaginer l'avenir du commerce de poissons marins tropicaux ?? Des menaces d'interdiction pure et simple des exportations pèsent sur notre hobby et ce depuis une vingtaine d'années. Les milieux que nous aimons tant et souhaiterions voir protégés sont pillés, en partie par notre faute (même mineure), il est donc temps d'en prendre conscience. Si demain votre revendeur vous donne le choix entre un poisson sauvage et le même d'élevage à un prix plus élevé, réfléchissez deux fois avant de raisonner en euro ?

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Photo, Ecocean (www.ecocean.fr)

Vous verrez qu'une fois que vous aurez franchi le pas, vous n'hésiterez plus !!

Je tiens tout particulièrement à remercier Pascal Faugère de la société H2O, Vincent Dufour de la société Aquafish Technology ( www.aqua-fish.com) mais tout particulier Gilles Lecaillon de la société Ecocéan ( www.ecocean.fr) pour leur collaboration et les précieux éléments qu'ils ont bien voulu me fournir ainsi que pour les photos, dont un certain nombre agrémentent cet article.


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Article publié le 26/11/2003 par Hervé Rousseau ; cet article publié initialement sur le site de l'ARA est aujourd'hui modestement dédié à Pascal Faugère qui nous a quitté bien trop tôt...





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