Du sexe chez les lysmata
Date: 20 novembre 2003 à 14:56:10 CET Sujet: Animaux
Alors, comme d'habitude dès qu'on parle de sexe, tout le monde vient jeter un oeil (enfin j'espère). Mais au risque d'en décevoir certains, et puisque nous sommes tous des gens sérieux, c'est sous l'angle scientifique que nous allons aborder la « délicate » question de la sexualité des crevettes du genre Lysmata. Les deux espèces que nous maintenons le plus souvent dans nos bacs sont respectivement, Lysmata wurdemanni et Lysmata amboinensis. La première essentiellement pour sa capacité à s'attaquer aux aiptasias, la seconde pour sa beauté et sa totale absence de timidité qui nous permet de l'observer à toute heure.
Si l'on excepte cette légère tendance à l'exhibitionnisme, L. wurdemanni et L. amboinensis ont des caractéristiques sexuelles assez semblables, et la majeure partie des informations qui seront données ici s'applique aux deux espèces.
Photo, David EXCOFFIER
Quelques éléments d'anatomie.
Les Lysmatas font partie des Crustacés, Malacostracés, Décapodes (comme les homards, crabes, bernards l'hermite, et autres crevettes) et du sous-ordre des Macroures ou Natantia (les décapodes nageurs). Leur morphologie générale est comparable à celle de la langoustine (figure). Classiquement on distingue les éléments suivants :
la Tête : elle porte la bouche, les yeux et 5 paires d'appendices sensoriels (antennes) ou masticateurs.
Le Thorax ou périon : il porte 8 paires d'appendices ou périopodes, les 3 premières ayant des fonctions masticatrices et les 5 postérieures constituant les organes locomoteurs (les pattes). Chez la langoustine, les orifices sexuels de la femelle sont situés à la base de la troisième paire de pattes, ceux du mâle à la base de la dernière paire. A ma grande honte, j'avoue que je ne suis pas allé vérifier s'il en était de même chez les Lysmatas hébergées dans mon bac.
L'abdomen ou pléon porte 6 paires d'appendices ou pléopode. La dernière paire de pléopodes encadre ce que l'on appelle le Telson et forme avec lui la nageoire caudale. Chez la femelle, c'est sur les pléopodes que sont fixés les oeufs après la ponte.
Accouplement, fécondation et incubation
Et bien allons-y puisque vous êtes là pour ça. Et bien oui, la fécondation est interne... mais au risque d'en décevoir certains, monsieur Lysmata fait ça comme un pied. Enfin, plus précisément il fait ça avec ses pieds. Comme chez la majorité des crevettes, le mâle utilise ses premières paires de pattes abdominales pour guider et introduire ses spermatophores dans l'orifice génital de la femelle (ou a proximité). Ces spermatophores sont de petits « sacs » contenant les spermatozoïdes et qui vraisemblablement permettent leur conservation sur une période relativement longue. La fécondation a lieu lors de l'émission des oeufs par la femelle, oeufs qu'elle fixe alors sur ses pléopodes. L'incubation des oeufs dure entre 15 et 20 jours, période durant laquelle ceux-ci passeront du vert clair au brun clair. Durant toute cette période, la femelle «aère» régulièrement ses oeufs par des mouvements alternatifs de ses pléopodes. A la fin de l'incubation les oeufs mesurent environ 1,2 mm de long sur 0,6 de large. Lors de l'éclosion, les larves sont émises au stade mysis pour Lysmata.
Photo, David EXCOFFIER
Cycles sexuels
Jusqu'ici tout ce qui vient d'être décrit n'a rien d'exceptionnel chez les crevettes ou même chez les crustacés. Mais patience, la particularité des Lysmatas est ailleurs :
Si, lors de l'achat de vos Lysmatas vous discutez avec un vendeur (compétent), il vous sera vraisemblablement précisé, comme ce fut le cas pour moi, que ces animaux étaient hermaphrodites, et qu'en achetant deux individus, vous auriez systématiquement formation d'un couple. Le discours est un peu différent de celui que vous connaissiez sur les poissons clown, où, pour avoir des chances d'obtenir un couple, il est nécessaire de prendre deux animaux de tailles différentes. Les clowns sont en effet des hermaphrodites successifs, commençant leur vie comme mâle et pouvant se transformer en femelle par la suite si les conditions le permettent (un petit + un gros = un mâle + une femelle, cf Amphiprion ocellaris ; La reproduction des poissons-clowns en aquarium ). Comme " tout est possible dans la nature " et que vous faites confiance à votre vendeur, vous voilà donc partis avec 2 superbes amboinensis de bonne taille. Si vous suivez ce scénario, vous ne tarderez pas à vous apercevoir après quelques temps, que ce n'est pas une mais deux Lysmatas qui se mettront à porter des oeufs simultanément. Un couple certes, mais un drôle de couple !
En fait, le mode de reproduction des Lysmatas a longtemps été controversé :
Après des études morphologiques et histologiques (découpage de l'animal en tranche et passage sous microscope), il a été démontré que nos protégés commençaient leur vie sexuelle comme mâle pour la terminer comme femelle (hermaphrodites protandriques), mais que les femelles ainsi formées gardaient des organes sexuels mâles fonctionnels (hermaphrodites synchrones). Si nous n'étions pas entre gens sérieux je dirais que monsieur Lysmata est l'un des rares mâles qui peut affirmer que sa femme a des couilles. Mais alors, me direz-vous, si madame a tout ce qu'il faut là où il faut, a-t-elle besoin d'un autre individu pour se reproduire ? Question d'autant plus judicieuse que vous vous souvenez (si si) que les crustacés en général se servent de leurs pattes pour l'insémination. Comme madame Lysmata a de grandes pattes, l'autofécondation devrait être morphologiquement possible. Cette théorie de l'autofécondation a été corroborée, dans un premier temps, par une observation simple à réaliser : si à la suite d'une première ponte, vous isolez l'une de vos Lysmatas dans un bac spécifique, vous constaterez que celle-ci recommencera à porter des oeufs. Oeufs fécondés, puisqu'ils donneront naissance à des larves fonctionnelles. Curieux, mais bon, comme nous ne surveillons pas jour et nuit nos bestioles, qui sait si madame n'a pas été fécondée avant d'être transférée. Mais que penser quand l'animal isolé donne naissance à une deuxième puis une troisième portée de larves ? Autofécondation ? Et bien non, la solution est plus simple et vous a été donnée dans la partie "laborieuse" de cet article sur l'anatomie des crustacés (c'est pas pour rien que je me suis ennuyé à relire le "Beaumont et Cassier")... Madame Lysmata produit bien des spermatozoïdes, mais elle est aussi une banque de sperme ambulante. Les spermatozoïdes qui ont été introduits dans son orifice sexuel, l'ont été à l'intérieur de petits sacs (spermatophores). Après une première ponte, certains sacs, non utilisés restent en place et seront disponibles pour le cycle suivant. Mais le stock s'épuisant assez vite, vous devriez vous apercevoir que votre femelle ne portera plus, après le troisième cycle, que des oeufs non fécondés.
Il faut donc bien deux individus pour qu'il y ait reproduction, soit un mâle et une femelle (un grand classique), soit deux 'femelles'. Dans ce dernier cas, les deux individus joueront tour à tour le rôle du père et de la mère suivant un cycle bien précis étroitement lié au cycle de la mue : dans des conditions "normales" (nourriture, t°, salinité...), les Lysmatas adultes muent environ tous les 15-20 jours. Deux femelles placées ensemble ne tarderont pas à avoir des cycles de mue décalés d'une semaine environ. Dans le jeu du papa et de la maman, c'est l'individu qui vient de muer, et qui a donc une carapace molle, qui jouera à la maman et qui sera fécondée par son partenaire. Huit jours plus tard, les rôles s'inverseront. La deuxième femelle va muer et à son tour être fécondée par son copain, qui je vous le rappelle portent déjà des oeufs.
Photo, Benoit FINET
Voilà, c'est quand même beau la nature ! ! ! et si après tout ça vous n'avez pas envie d'avoir des Lysmatas dans votre bac, c'est à n'y rien comprendre...
Enfin, si ça vous tente, sachez que l'élevage des Lysmata amboinensis a déjà été réussi et qu'il semble être depuis peu maîtrisé par des professionnels (cf références TMC ci-dessous)
Pour en savoir plus
Functional, Simultaneous Hermaphroditism in Female-Phase Lysmata amboinensis (Decapoda : Caridea : Hippolytidae), pp. 161-169, G. Curt Fiedler : http://www.uhpress.hawaii.edu/...
Scarlet cleaner shrimp By Joyce D. Wilkerson : http://www.breeders-registry.gen.ca.us/...
Research in Marine Habitats and the Biology of Shrimps (Raymond T. Bauer) : http://www.ucs.louisiana.edu/...
Captive Spawning and Rearing of the Peppermint Shrimp (Lysmata wurdemanni) : http://www.breeders-registry.gen.ca.us/...
Breeding The Indo-Pacific White Striped Cleaner Shrimp Lysmata ambionenesis by Jamie R K Craggs : http://www.reefsuk.org/...
The Breeder's registry... for Marine Aquarium Cultured Fishes and Invertebrates : http://www.breeders-registry.gen.ca.us/...
TMC Latest Developments : http://www.tmc-ltd.co.uk/Hatchery/latest.asp
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Article publié le 26/11/2003 par Benoit Finet ; Article publié initialement sur le site de l'ARA
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