L'acclimatation des poissons marins
Date: 23 juin 2004 à 14:30:00 CEST
Sujet: Pratique


acclim
Cet article est plus particulièrement destiné aux professionnels du commerce aquariophile qui réceptionnent des poissons ayant voyagé plus de 24 heures. Mais ce type d'acclimation devrait être utilisé dès que des poissons sont restés dans un sac plus de deux heures. Peu importe, je suis persuadé que de nombreux particuliers seront intéressés par cette méthode d'acclimatation qui est la plus adaptée pour leurs poissons. Cette méthode est utilisée par les plus gros exportateurs et grossistes du monde entier. Malheureusement, elle reste méconnue de beaucoup de professionnels plus modestes.



Lors du transport des poissons en mileu confiné, deux phénomènes importants ont lieu : le poisson respire et produit du gaz carbonique CO2 qui se transforme en acide carbonique : le pH de l'eau diminue, et le poisson excrète dans cette eau de l'ammoniac (NH3), un sous-produit du métabolisme cellulaire très toxique.

pH et toxicité de l'ammoniac sont liés : NH3 + H+ <=> NH4+. Un pH bas signifie plus de protons (H+), ce qui favorise la formation des ions ammonium (NH4+). L'ammonium est beaucoup moins toxique que l'ammoniac.

Le pH de l'eau de conditionnement des poissons tombe vite aux alentours de 7, voire à une valeur plus faible encore si le trajet est vraiment long ou les poissons particulièrement gros. Cette baisse de pH est bénéfique car elle permet à l'ammoniac libéré d'être transformé en ion ammonium. Sans ce phénomène, les poissons seraient vites intoxiqués. On peut même dire que c'est grâce à cette propriété que les poissons arrivent vivants.


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Photo, Hervé ROUSSEAU

Le danger de l'acclimatation "traditionnelle" au "goutte-à-goutte" réside donc dans le fait de remonter doucement le pH de l'eau du transport par ajout d'eau de mer "propre" : l'ammonium se retransforme alors en ammoniac toxique. La zone dangereuse se situe entre pH 7.6 et 8. Lors d'une acclimatation au "goutte-à-goutte", les poissons viennent se concentrer à l'arrivée d'eau propre, car ils fuient l'eau d'emballage riche en ammoniac toxique. Ils pipent l'air à la surface car les branchies, par lesquelles passe une grande partie des échanges, sont irritées et stressées. Elles se recouvrent de mucus et deviennent beaucoup moins efficaces. Les poissons peuvent aussi avoir des spasmes et de nombreuses autres réactions néfastes.

Lorsqu'on parle de remontée du pH, il faut garder à l'esprit que les liquides contenues à l'intérieur même des poissons suivent aussi cette remontée, avec un léger décallage dans le temps. Et c'est là qu'il y a un problème car la concentration en ammoniac des fluides internes est encore plus élevée que celle de l'eau. Lorsque le pH de ces fluides remonte et que le poisson n'a pas eû le temps d'excréter cet ammoniac, il y a intoxication. Une concentration en ammoniac d'à peine 0.15 mg/l est toxique (Bassler). Les poissons exposés à des doses élevées d'ammoniac vont mourir en quelques heures, ou garder de graves séquelles qui entraîneront la mort un peu plus tard.


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Photo, Hervé ROUSSEAU

La seule méthode qui protége les poissons de ces risques consiste à laisser le poisson libérer tout cet ammoniac toxique dans une eau "propre" à un pH bas, et de laisser ensuite le pH remonter doucement. Autrement dit, de sortir le poisson d'une eau de transport au pH bas et très polluée pour le transférer dans une eau propre à un même pH bas dans un bac d'acclimatation. Dans cette eau, le poisson pourra rapidement libérer l'ammoniac qui sera recyclé par la filtration biologique.

Cette technique peut sembler compliquée au premier abord, mais elle permet de se simplifier la vie et d'épargner celle des poissons. Il existe plusieurs manières de baisser le pH de l'eau de mer, mais nous ne parleront que de la technique utilisant le gaz carbonique CO2, car c'est la plus simple. De l'acide peut aussi être utilisé, mais les dosages sont délicats.


Le matériel:

- un aquarium de quarantaine ou une batterie d'aquarium. selon le nombre de poissons à acclimater,
- cet aquarium doit être équipé d'un écumeur et d'une bonne filtration biologique (pour rapidement transformer l'ammoniac en nitrites et nitrates moins toxiques),
- une bonne pompe de circulation, la circulation doit être conséquente pour que l'ensemble du système s'équilibre rapidement,
- une bouteille de CO2 comprimé équipée d'un détendeur,
- une électrovanne magnétique pour CO2,
- du tube silicone spécial CO2, pour relier l'ensemble,
- un pH mètre pour contrôler l'électrovanne.


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Photo, Hervé ROUSSEAU

Tout ce matériel est maintenant d'usage courant et disponible dans tous les bons commerces aquariophilies. Cela reste du matériel assez délicat, surtout le pH mètre qui demande une maintenance régulière (calibration, changement de sonde...).

Le CO2 est injecté à l'aide d'un venturi directement dans la pompe de circulation, ou dans l'écumeur (si l'écumeur est placé directement dans l'aquarium). Il peut aussi être injecté à l'aide d'un simple diffuseur ou encore par un réacteur à CO2 utilisé pour les bacs plantés en eau douce (spirale et autres réacteurs Dennerle, JBL, Dupla, Aqua Medic, etc). La première méthode est la plus efficace car elle assure une meilleure répartition et un meilleur rendement d'une manière économique et facilement disponible.

Je vous conseille de faire plusieurs essais "à vide" avant de mettre la vie de poissons en danger. Une fois que le matériel est correctement réglé et calibré, la technique est très simple. I faut cependant bien comprendre le fonctionnement du pH-mètre, bien régler le débit de CO2 et de la pompe et ajuster le tout avant de s'en servir sans risques. Il faut placer la sonde du pH mètre à un endroit stratégique qui donne le pH moyen du système, et éviter de grandes variations du pH au sein du système lui-même. A proximité du site d'injection du CO2, le pH chute rapidement mais à l'autre bout du système cela prend plus de temps, il faut donc placer la sonde entre ces deux extrêmes.


L'acclimatation:

- ajuster la température (même température dans les sacs d'emballage que dans le système d'acclimatation),
- arrêter l'écumeur et l'aération car cela favorise le dégazage du CO2,
- programmer le pH mètre pour qu'il maintienne un pH de 7 (6.8 au minimum) en fermant l'électrovanne dès que le pH passe en dessous de 7.
- ouvrir la bouteille de CO2,
- attendre que le pH se stabilise dans tout le système. Cela prend en général peu de temps, mais cela dépend du système,
- ouvrir les sacs et transférer directement les poissons dans le système d'acclimatation,
- se débarrasser de l'eau d'emballage (elle devrait idéalement être stérilisée avant d'être jetée),
- refermer la bouteille de CO2,
- remettre en route l'écumeur et l'aération. Cela provoquera le dégazage de l'eau et une élimination du CO2,
- aller boire un coup un regardant tranquillement le pH remonter et les poissons se remettre paisblement de leur voyage. En général, le pH met quelques heures à remonter.
- une fois que le pH est au-dessus de 8, les poissons peuvent être transférés dans un système de quarantaine.

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Photo, Hervé ROUSSEAU


Conseils supplémentaires:

Il faut effectuer des changements d'eau réguliers entre chaque acclimatation, car cette méthode à tendance à consommer le pouvoir tampon de l'eau. Le pH de celle-ci met de plus en plus de temps à remonter si aucun changement d'eau n'est fait. Il n'est pas nécessaire d'acclimater exactement au même pH que l'eau d'emballage. Par expérience nous avons trouvé que 7 était le meilleur compromis, quel que soit le pH de l'eau du transport : 6 ou 7.5. Même si les poissons paraissent choqués dans un premier temps et reste immobiles, ne vous inquiétez pas. Dès que le pH atteint la valeur de 7.5, ils se "réveillent" et commencent à nager normalement. Bien sur, toutes les autres consignes classiques de l'acclimatation restent valables comme éviter les chocs lumineux - si possible travailler dans l'obscurité ou sous une lumière rouge - et garder les poissons séparés au maximum pour éviter les bagarres et les blessures.

Si des poissons arrivent très "fatigués", s'ils sont couchés et respirent rapidement dans les sacs, la technique de re-oxygénation peut être utilisée pour les réanimer. Elle est efficace et simple. Il suffit d'ouvrir les sacs, de les regonfler à l'oxygène et de laisser le poisson se re-oxygéner pendant une demi-heure à une heure avant de l'acclimater normalement. En général, ce sont les poissons les plus gros, où le pH est le plus bas qui sont dans cet état dans les sacs de transport. Donc, même si la réoxygénation va augmenter légèrement le pH dans le sac, on reste toujours assez loin de la zone dangereuse des 7.6/8.


Voilà vous êtes fin prêts pour aller chercher vos poissons...un peu plus loin !



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Article écrit par Vincent Chalias et publié par Récifs.org le 23/07/2004 (www.amblard.fr)





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